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jeudi 13 février 2020

La vertu du héron








Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N'écoute même pas, attends seulement. N'attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement; extasié, il se tordra devant toi.
Franz Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance, l'espoir et le vrai chemin.





Ressentir une visite imprévue comme un dérangement, c’est un signe certain de faiblesse, une fuite devant l’imprévu. On se terre dans une vie dite « privée », faute d’avoir les forces nécessaires pour affronter  le monde. On fuit le miracle et l’on se réfugie dans une attitude d’autolimitation. C’est une retraite. Car enfin l’existence, c’est avant tout être-avec-les-choses, c’est un dialogue. On n’a pas le droit de s’y dérober. […]. 
Gustav Janouch, Conversations avec Kafka.




 Ne te laisse mettre en prison par aucune affection. Préserve ta solitude. Le jour, s'il vient jamais, où une véritable affection te serait donnée, il n'y aurait pas d'opposition entre la solitude intérieure et l'amitié, au contraire. C'est même à ce signe infaillible que tu la reconnaîtras. Les autres affections doivent être disciplinées sévèrement.
Simone Weil, La pesanteur et la grâce.






 Le monde est un texte à plusieurs significations, et l'on passe d'une signification à une autre par un travail. Un travail où le corps a toujours part, comme lorsqu'on apprend l'alphabet d'une langue étrangère: cet alphabet doit rentrer dans la main à force de tracer des lettres. En dehors de cela, tout changement dans la manière de penser est illusoire.
S. Weil, "L'intelligence et la grâce", La pesanteur et la grâce.




Justice. Être continuellement prêt à admettre qu’un autre est autre chose que ce qu’on lit quand il est là (ou qu’on pense à lui). Ou plutôt lire en lui qu’il est certainement autre chose, peut-être tout autre chose que ce qu’on y lit.
Chaque être crie en silence pour être lu autrement.  
Simone Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce




Aux Thermes de Caracalla, Rome, 2016

Pour penser le malheur, il faut le porter dans la chair, enfoncé très avant, comme un clou, et le porter longtemps, afin que la pensée ait le temps de devenir assez forte pour le regarder. Le regarder du dehors, étant parvenue à sortir de son corps, et même, en un sens, de l’âme. Le corps et l’âme restent non seulement transpercés, mais cloués sur un lieu fixe. Que le malheur impose ou non l’immobilité, il y a toujours immobilité forcée en ce sens qu’une partie de l’âme est toujours, continuellement, inséparablement collée à la douleur. Grâce à cette immobilité, la graine infinitésimale d’amour divin jetée dans l’âme peut à loisir grandir et porter ses fruits dans l’attente, en hupomenê, selon l’expression divinement belle de l’Évangile. On traduit in patienta, mais hypomenein, c’est tout autre chose. C’est rester sur place, immobile, dans l’attente sans être ébranlé ni déplacé par aucun choc du dehors. 

Heureux ceux pour qui le malheur entré dans la chair est le malheur du monde lui-même à leur époque. Ceux-là ont la possibilité et la fonction de connaître dans sa vérité, de contempler dans sa réalité le malheur du monde. C’est là la fonction rédemptrice elle-même. Il y a vingt siècles, dans l’Empire romain, le malheur de l’époque était l’esclavage, dont la crucifixion était le terme extrême. 

Simone Weil, Lettre à Joë Bousquet, 12 mai 1942






Pour nommer le malheur du monde de notre époque, suffit-il d'interroger sa propre chair? Cela dépend toujours de quelle nourriture elle est faite. Quelle nourriture pour l'âme dans un monde de la consolation, de l'agitation  et de la contrefaçon?

Immobilité, solitude et patience.






Il y avait beaucoup de liberté de pensée au cours des dernières années, mais il n'y avait pas de pensée. C'est à peu près la situation de l'enfant qui, n'ayant pas de viande, demande du sel pour la saler.
Simone Weil, "Les besoins de l'âme",  L'enracinement.





L’époque hypermoderne est dromomaniaque, entendez : éperdue d’automatisme ambulatoire. Le mouvement donne le sentiment de vivre à fond, il permet de consommer le monde (c’est l’auteur qui souligne). Sous couvert de bonnes intentions liées à des dépenses énergétiques sans précédent et à la découverte de la diversité du monde, tant humaine qu’écologique, la mobilité est devenue un modèle comportementale. Celui-ci colonise massivement l’imaginaire social et s’impose à nos loisirs et nos vies professionnelles.
Rodolphe Christin, L’usure du monde. Critique de la raison touristique, 2014.





Qui peut se flatter qu'il lira juste?
S.W.



Aéroport de Montréal, YUL pour les intimes.



Causes des mauvaises lectures: l'opinion publique, les passions.
S. Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce.
 




https://www.gillesmcmillan.com/2020/02/le-negatif-ou-lenvers.html
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