Ce texte a d'abord été publié sur le site web de la revue Argument en août 2022.
On y trouvera le texte en format PDF
Tu croyais que détruire ce qui sépare est unir. Tu
as détruit ce qui sépare et tu as tout détruit. Parce que rien n’existe sans ce
qui sépare.
Antonio Porchia, Voix et autres voix.
La bataille pour l’âme du Québec : un
pamphlet pour la diversité ultralibérale1
On aurait espéré en vain un documentaire nuancé de
la part de Francine Pelletier sur l’appauvrissement du discours national au
Québec, le ressentiment, la laïcité, la diversité sous le régime
multiculturaliste canadien. Mais comment s’attendre à une réflexion de bonne
foi de la part d’une militante néoféministe qui fait du genou aux Frères
musulmans (Mes sœurs musulmanes, 2008), donne la parole à Tariq Ramadan,
évite de la donner à des femmes de tradition musulmane opposées au voile, et
qui n’a jamais commenté, à ma connaissance, les accusations de viols portées
contre ce même Ramadan, la référence intellectuelle de son documentaire
de 2008 ? Celui-ci y était appelé en renfort pour dénoncer la société de
consommation et l’instrumentalisation de la femme-objet ! Dans La bataille
pour l’âme du Québec, le voile prend encore une signification symbolique
navrante, à la mesure de l’aveuglement qu’il impose. Et rebelote pour les
femmes musulmanes laïques : elles n’existent toujours pas dans le récent
opus de Francine Pelletier, qui est avant tout un nouveau réquisitoire contre
la laïcité, pour « ses sœurs musulmanes » qui semblent bien être
devenues les porte-étendards de sa vision de la liberté et de la pluralité
sociale. La banalité du voile, dira-t-on ? Pire : sa fonction
émancipatrice.
Dans son documentaire, Francine Pelletier isole la
société québécoise de l’histoire récente, notamment de la brutalité extrême de
la mondialisation, et cela en dépit des appels militants de ses témoins en
faveur de l’ouverture sur le monde tel qu’il va, de la diversité, contre le
repli identitaire, etc. Le problème est que le monde réel n’existe pas plus
dans son documentaire que dans ce qui serait un « nous » colonisé par
une idéologie nationaliste rétrograde fondée sur le fantasme des origines.
Comme si ce « nous » n’était pas d’abord et avant tout colonisé par
des puissances du technocapitalisme autrement aliénantes, et souvent avec des
arguments fallacieusement progressistes : soyez modernes, déracinez-vous,
adaptez-vous, désâmez-vous ! Mais rassurez-vous, Francine Pelletier nous livre
un message plein d’optimisme : la diversité sauvera notre petit peuple de
ce repli identitaire. Que dis-je ? Elle le sauve déjà, malgré et contre ce nous.
Pour elle, ce « nous » est génétiquement
hétérophobe quand il n’est pas raciste2. Il s’agit d’un
« nous » prenant exclusivement sa source dans un catholicisme
ultramontain, toujours menaçant, car il hanterait encore la plupart des esprits
tentés par le populisme le plus détestable, manifestation d’une mentalité
d’assiégés qui n’attend qu’un signal pour frapper insidieusement. Or ce
« nous », historiquement, craint l’immigration, rappelle l’historien
des minorités culturelles Pierre Anctil. Dans un formidable raccourci, il
n’hésite d’ailleurs pas à établir un parallèle entre ce temps passé de
l’ultramontanisme et le nôtre. Le contexte n’est certes pas le même, admet-il,
mais ça ne fait rien, le résultat, lui, est identique. Donc, si vous êtes
favorable à l’esprit de la loi sur la laïcité, c’est que ce « nous »
déplorable vous ronge. Tout le réquisitoire de Mme Pelletier est de cette eau
vaseuse.

Si vous pensez que le multiculturalisme est une
contrefaçon de la pluralité sociale ou si vous pensez qu’un certain contrôle de
l’immigration est préférable pour tout le monde, les natifs comme les nouveaux
arrivés, vous êtes un identitaire et un islamophobe, car, dans le pamphlet de Mme
Pelletier, il n’y a guère de place pour la nuance. Pour elle, il n’y a aucune
différence entre une femme musulmane, une femme musulmane portant le voile dans
certaines occasions et une femme musulmane qui milite pour le port du voile
islamique jusque dans la fonction publique où elle travaille. Et cela en dépit
de ce qu’en pensent des femmes originaires de pays musulmans qui s’inquiètent
de la banalisation de l’islamisme radical et de l’instrumentalisation des
femmes par celui-ci. En dépit aussi des exactions commises par les djihadistes
en Afrique, en Afghanistan comme en Occident. Silence absolu sur les nombreux
massacres survenus en France depuis 2015, dont la décapitation récente de
l’enseignant Samuel Paty par un djihadiste tchétchène. Je rappelle au passage
que l’écrivain David Di Nota a qualifié ce crime d’institutionnel, à
cause de l’attitude officiellement suspicieuse d’enseignants et de
fonctionnaires de l’éducation à l’encontre de la victime, par crainte d’être
suspectés à leur tour d’islamophobie, et ce au mépris des faits3.
Un ami qui me veut du bien, soucieux de la
précision des équivalences, me fait remarquer qu’au Québec cinq musulmans ont
été abattus à Québec par un tireur motivé par l’islamophobie. Je reconnais que
c’est un crime ignoble qui aggrave l’aveuglement. Le décompte vise à prétendre
qu’ici ce n’est pas l’islamisme le danger, mais plutôt l’islamophobie. Affirmer
cela cependant, c’est ignorer le crime d’honneur commis par Shafia en 2009
(quatre femmes assassinées – le djihad s’en prend d’abord aux siens) ; c’est
oublier l’attentat à la base militaire de Sant-Jean-sur-le-Richelieu en 2004
(un mort et un blessé) ; c’est oublier aussi le démantèlement en 2006 d’un réseau
qui s’apprêtait à commettre un attentat d’envergure, a-t-on su. Dix-huit
personnes furent arrêtées. Et c’est oublier, enfin, l’affaire de la
charia en Ontario qui a forcé le gouvernement à légiférer pour interdire les
tribunaux islamistes qui ne semblent pas trop favorables aux femmes, en
général. Qu’à cela ne tienne, l’islamisme, s’il faut en croire mon ami,
n’existe pas dans nos contrées, n’a jamais existé, n’existera jamais ! Très
soucieux de la liberté de conscience, il me fait encore remarquer que c’est une
chose d’être opposé au voile, une autre de l’interdire. Remarque intéressante,
mais il faudrait dire ça à Mme Pelletier, à ses sources et à ses
défenseurs. Il est assez troublant en effet d’entendre des historiens et
des experts en communication défendre bec et ongle l’inclusion sociale contre
la discrimination haineuse, mais exclure de leur analyse tous ceux et celles
qui nous mettent en garde contre la signification de courants politiques
belliqueux, actifs aujourd’hui dans le monde, mais que recouvre et dissimule le
voile de la piété. Il faut dire que la soumission aux lois de la
mondialisation, de l’hypermodernité, conduit forcément à percevoir la société
comme une addition d’individus privés pourvus de droits plus ou moins
abstraits, des monades que représentent des groupes d’intérêt. Malheur à ceux
et celles qui ne valent pas la peine d’être représentés au tribunal des droits.
On pourrait suggérer à ces idéologues de méditer
d’autres livres que les leurs, qu’ils prennent ainsi un peu de recul face à cet
entre-soi qu’ils habitent. C’est peut-être la condition première pour
penser ce « nous », ce qu’il comporte de ressentiment et pourquoi. Le
diaboliser sans en saisir les déterminations sociales complexes équivaut à
alimenter la peur des autres à travers la haine de soi, à sombrer dans le même
travers que lesdits progressistes prétendent combattre.
Lire Pierre Vadeboncœur, par exemple, permettrait
de découvrir, ou de se rappeler qu’il fut à la fois un défenseur passionné de
son peuple et un critique non moins passionné de l’appauvrissement spirituel et
politique de son élite, en dépit de la sainte Révolution tranquille. Il n’a
jamais hésité, rappelons-le, à condamner fermement la gauche officielle,
fallacieusement contre-culturelle, alors qu’elle se faisait complice du
pouvoir ou se conformait aux nouvelles industries de la culture. Ses essais
sont d’autant plus pertinents qu’il a été un témoin actif du passage de l’avant
à l’après-Révolution tranquille, qu’il a lui-même dépassé les idéologies libérale,
ultranationaliste, libertarienne, qu’il a dépassé le conformisme de sa classe
sociale, de sa génération et de la suivante, celle que feu François Ricard a
baptisé « la génération lyrique ».
Pierre Vadeboncœur ne méprisait aucunement la
culture populaire souvent séduite par ce qu’on appelle aujourd’hui les sirènes
du populisme, mais davantage encore par les mirages de la culture de masse et
la société de consommation. Celles-ci sont d’ailleurs infiniment plus
dangereuses pour les cultures, minoritaires ou pas, que toutes les vieilles
lubies du passé si faciles à déboulonner ‒ l’ultramontanisme, par exemple. Pierre
Vadeboncœur portait haut le sens du dialogue entre l’ancien et le moderne,
faculté qui se perd aujourd’hui chez les intellectuels, qui ont plutôt tendance
à faire passer l’ancien monde directement à la poubelle de l’histoire. Ce qui,
sans qu’ils ne s’en rendent compte apparemment, est la meilleure façon de le
faire ressurgir à travers le ressentiment et la fausse conscience. Vadeboncœur,
de son côté, fut très sévère pour la culture de masse, culture de
l’insignifiance, disait-il. C’est ce qu’il appela en 2000 L’humanité
improvisée, un monde dépourvu de repères politiques et spirituels. Les
repères spirituels, il faut le préciser, ne sont pas réductibles au religieux
chez lui, et encore moins au dogmatisme des Églises, de l’institution
religieuse. La question de la foi apparait plutôt comme un
« problème », un défi à la conscience, à la sensibilité, à la quête
de liberté. La foi, chez les penseurs chrétiens authentiques, est tout le
contraire de la tranquillité de l’esprit et du désengagement social. C’est à ce
tourment qu’il consacre Essais sur la croyance et l’incroyance. Il y
écrit : « Le problème de la foi, positivement ou négativement, n’a
jamais été résolu. Ni la question de son contenu. Je n’attache d’ailleurs pas
nécessairement le mot foi à la religion dogmatique, mais bien plutôt à
l’interrogation anticipatrice4. » L’interrogation
anticipatrice… c’est notamment ce qui lui permettait de percevoir les
simulacres mis en scène par la société du spectacle, dont ceux de la
contestation extrême ou tonitruante, la mentalité toute moderne et
« progressiste » de la table rase, qui est celle du pouvoir.
Dans Un génocide en douce, il
écrivait en conclusion d’un court texte intitulé « Je dois voir
double » : « Une politique de gauche décalque la politique de droite,
comme par hasard5. » La plupart des textes de ce recueil
mettent en lumière le rôle paradoxal de la gauche, sa complicité avec le
pouvoir central, qu’il appelait l’empire. Il attirait notamment
l’attention sur le mépris que cet empire et ses sbires vouaient aux détestables
Canadiens français, à ce « nous » insoumis en Amérique, comme à toute
entité mal adaptée ‒ la véritable insoumission n’a jamais le chic de la
bien-pensance ; elle peut être même assez décevante, sans éclats. « Notre
situation ressemble à celle d’un homme qui a perdu sa maison dans un sinistre »,
écrivait-il dans le texte intitulé « Errants sédentaires ». À la fin
du même texte, il précise:
Pour la
première fois nous sommes face à face avec l’immigrant, comme égaux avec lui à
tous égards. Pour la première fois donc, il y a ici des hommes sans
titres. Dans cette opposition réciproque et sans droit préalable pour
quiconque, il n’y a pas de pire prolétaire que celui qui a été spolié, ni de
plus promis à la déchéance. Nous passons du premier au dernier rang :
c’est ce que nous ressentons dans notre sensibilité prémonitoire. Celui qui
descend se prépare un avenir qui va dans le sens de son mouvement. Le premier
et le plus fort par son nombre est dès lors le plus faible et le plus
vulnérable. Tel est le paradoxe de la dynamique dont nous éprouvons déjà la
contrainte. Ainsi travaille la puissance de l’histoire selon les lois
insidieuses de la chute des peuples6.
Ce face à face avec l’immigrant n’est pas haineux,
il est à égalité, lucide et solidaire. Il révèle le déracinement réciproque et
absurde, dans un monde sans fondements, qui profite aux cyniques du pouvoir,
qu’ils portent les habits de la gauche ou de la droite.
L’essai de Vadeboncoeur fut publié quelques
semaines avant l’entrée au gouvernement du Parti québécois. Ô résurrection,
avons-nous chanté en cœur, nous, l’immigrant et l’Autochtone : les errants
sédentaires. Tout semblait alors possible, dont ce grand « nous »
qu’on appelle aujourd’hui inclusif. Mais cet état de grâce allait s’éteindre
deux décennies plus tard, le soir du référendum de 1995. Cette défaite
mémorable constitue l’angle d’attaque du pamphlet de Francine Pelletier. En
soi, il n’est pas faux, mais son interprétation est monologique, anhistorique
et sommaire. Avant d’y revenir, qu’on me permette une autre suggestion de
lecture.
En prolongement de la pensée de Vadeboncoeur, il
serait judicieux de lire l’ouvrage que Marc Chevrier, L’empire en marche.
Des peuples sans qualités, de Vienne à Ottawa. On y lirait l’histoire
commentée et analysée du développement d’un appareil de pouvoir qui s’efforce
de faire disparaître tout ce qui est étranger à sa raison instrumentale,
Québécois, Amérindiens, immigrants insoumis ‒ d’où les peuples et les hommes
sans qualités, que Vadeboncœur appelait « errants sédentaires »,
« sans titre ». Cette histoire remonte au XVIIIe siècle et
dépasse largement ce que sera le Canada en 1867 : moins un État d’ailleurs
qu’un dispositif colonial appartenant au dominion de l’empire. Dominion
comme dans domination. Dominion of Canada7.
Après cette lecture exigeante, pourquoi ne pas
faire un crochet par La montée de l’insignifiance de Cornélius
Castoriadis, qui décrit notre époque comme celle du conformisme généralisé, de
l’appauvrissement de l’idée de liberté et d’autonomie, du sens de l’histoire,
de l’action politique remplacée par celle des lobbies ; effondrement du sens
critique également, victoire de la société de consommation et de ses gadgets
techniques et culturels8. On aurait dès lors une assez bonne idée de
ce que rate Mme Pelletier dans son pamphlet, et du fonds de commerce qui sert
de pensée à certains des intellectuels, militants et conseillers politiques
qu’elle consulte.
L’appauvrissement du discours politique et national,
Mme Pelletier l’attribue moins à la défaite du référendum de 1995, qu’à la
déclaration intempestive de Jacques Parizeau sur l’argent et le vote ethnique.
Interprétation qui n’est pas fausse, mais qui dissimule tout un pan de la
réalité historique du Québec et, ce faisant, de son imaginaire national, tout
aussi déplorable est-il devenu. Pas un traitre mot de l’aggravation du
multiculturalisme canadien dont l’objectif est explicitement de détruire le
projet de souveraineté nationale des Québécois en accusant celui-ci
d’ethnocentricité, de xénophobie, de racisme.
Rappelons que le multiculturalisme devient une
politique officielle défendue bec et ongle par le gouvernement de Pierre Eliott
Trudeau dès 1971, soit un an après qu’il ait gratifié le Québec de la Loi sur
les mesures de guerre pour régler la crise d’Octobre (il faudrait d’ailleurs
voir aussi d’où vint cette crise, comment elle fut alimentée par l’empire
représenté par Ottawa ‒ « Just watch me », disait
Pierre-Elliott Trudeau, alors premier ministre du Canada. Il faut aussi
rappeler que le Canada est le seul pays au monde à faire du multiculturalisme
une loi9.
Il est alors assez incongru d’entendre Mme
Pelletier affirmer sans rire : « Le repli sur soi n’est certainement
pas unique au Québec, mais ici, il passe par l’imposition de lois
particulières. » Il faut bien lire : le repli sur soi existe certes
ailleurs, mais il est imposé ici par des lois : au nom de la loi,
repliez-vous ! Et quelles sont ces lois ? Loi sur la laïcité, bien sûr
(loi molle au demeurant), qui interdit le voile islamique dans la fonction
publique. Et puis la loi linguistique, celle qui renforce maladroitement la Loi
101 sans donner du sens à l’usage du français. Dans le collimateur de Mme
Pelletier, on trouve aussi, bien entendu, la demande de Québec de rapatrier le
pouvoir de légiférer sur l’immigration.
Cette affirmation est démagogique pour deux
raisons.
D’abord, parce qu’elle est fausse ; en France, on a
adopté une loi contre le séparatisme dont l’objectif est de contrer la tendance
de communautés à rejeter les lois et l’esprit de la République, au nom de
l’islam surtout. Le port du voile islamique dans les écoles est aussi encadré
par une loi, tout comme celui du burkini dans les piscines publiques. Ce qui
fait que, en France comme ici, cette loi fut immédiatement attribuée au racisme
et à l’islamophobie du gouvernement français.
Cette affirmation est également démagogique pour
une raison plus déterminante : s’il est désastreux pour la démocratie et la
paix sociale, comme certains le croient, de restreindre les libertés
individuelles ou d’encadrer légalement le port des signes religieux, il
faudrait minimalement reconnaître qu’il existe des lois autrement
contraignantes, dont celles sur le multiculturalisme qui entrainent une
kyrielle de mesures et d’institutions, lourdes et
structurantes (lecture orientée des chartes, lobbies identitaires
subventionnés, etc.). Ce chapelet de mesures et d’instances s’égrène pieusement
autour d’un vaste et très compliqué domaine juridique. On parle ici de la
judiciarisation des enjeux sociaux comparable, comme l’ont bien vu Brewster
Kneen et Anne-Marie Voisard, à une tyrannie des droits10, qui
elle-même entraîne une démultiplication des lois et règlements, voire,
littéralement, une muséification des droits (ouverture à Winnipeg en 2014
du Musée canadien pour les droits de la personne).
Des philosophes et des anthropologues considèrent
que ce culte des droits privés est à la source de la société du narcissisme et
de l’« obsession victimaire » que nous vivons quotidiennement
aujourd’hui, notamment dans les universités. René Girard affirmait ainsi
: « […] aujourd’hui on rivalise à qui sera plus ‘‘victimisé’’ que le
voisin ! C’est l’équivalent spirituel de la puissance nucléaire »11.
Cette réalité dévastatrice inhérente à l’idéologie multiculturaliste est une
injonction inscrite dans la Constitution canadienne. Il va de soi que le dire
relève automatiquement du repli identitaire le plus pernicieux. Pour éviter que
ces choses soient dites librement, la tyrannie des droits et de la diversité a
été logiquement conduite à inventer la cancel culture.
Depuis la défaite du référendum de 1995,
frustration et honte marquent donc l’imaginaire national. Nous sommes les seuls
responsables de cette défaite, et cette honte est très dure à porter, insiste
Gérard Bouchard, se donnant lui-même en exemple. Honte d’avoir perdu par notre
faute à nous, Québécois. D’où la mauvaise conscience nationale, mère du
ressentiment, des dérapages de politiciens, de journalistes et d’intellectuels.
Parmi ces intellectuels, Jacques Beauchemin, bien sûr, mais surtout Mathieu
Bock-Côté. Reconnu et souvent détesté pour sa critique de l’idéologie
multiculturaliste et du politiquement correct qui l’accompagne, il incarne à
lui seul, du moins aux yeux de plusieurs, cette mauvaise ou fausse conscience
nationaliste. Nos intellectuels diversitaires oseraient-ils dire la même chose
de René Girard ‒ sur cette question précise, s’entend ? Ces deux-là sont
incomparables, me répondra mon ami soucieux de vérités profondes ; Girard a
créé une vraie pensée, lui. C’est vrai qu’on atteint plus vite la limite
philosophique et politique de la pensée de Mathieu Bock-Côté, mais ne vaut-elle
pas n’importe quelle pensée politique libérale, avec en outre un sens critique
un peu plus poussé ? Prétendre qu’il appartient à l’extrême droite est de ce
point de vue une aberration somme toute assez comique. Comme d’autres, M.
Bock-Côté est devenu une bête médiatique invitée à toujours mordre le même
bâton. Le problème est plutôt qu’il surnage dans une doctrine libérale dont il
ne s’arrache jamais vraiment, sauf à défendre certaines institutions
culturelles contre la doctrine multiculturaliste, notamment canadienne. C’est
une chicane intestine : nationalistes libéraux contre libéraux
multiculturalistes, dont les multiculturalistes qui se prétendent de gauche ou
de l’extrême gauche. Or ces institutions culturelles qu’il défend n’ont aucune
chance de se développer dialogiquement, sans une critique radicale ‒ ce
que Vadeboncoeur appelle « l’interrogation anticipative » ‒, de l’économisme,
du culte de la croissance technologique orchestré par des experts soumis aux
seules exigences de leur technique. L’empire, ce n’est pas seulement le
politiquement correct, c’est aussi ça ; c’est même surtout ça.
C’est d’ailleurs ce que n’ont jamais compris non
plus les grands bonzes du PQ et les défenseurs de l’idée d’indépendance en
général, des technocrates libéraux pour la plupart, des avocats et des
économistes, des négociateurs au service des grandes entreprises tel Lucien
Bouchard. Autrement dit, des experts au service de l’empire qu’ils prétendent
non pas combattre, mais mieux gérer grâce à des leviers plus
administratifs que politiques. Il faut bien le dire, le peuple n’est plus, aux
yeux de ces experts, qu’un marché dont la fonction est de produire, consommer,
s’adapter aux nouvelles technologies à la vitesse de leur croissance. Il reste
libre d’obéir, bien sûr, de porter les costumes et les apparats qu’il
veut, qui conviendront à sa croyance, à son life style, dont il pourra
changer à sa guise ‒ ce à quoi notre régime politique réduit la liberté. Mettre
en place, par exemple, un vaste programme d’ingénierie sociale qui passe par
les fusions municipales, c’est-à-dire la centralisation de services publics
essentiels sans consultations publiques véritables, et défendre la culture d’un
peuple, est une contradiction dans les termes. La culture d’un peuple ‒ son âme,
dirait-on pour faire spirituel ‒, est inséparable de son enracinement
dans le quotidien, sa manière d’habiter le paysage qui n’est pas un décor.
Voyez ce que sont devenues les régions du Québec : les plus riches sont
des centres de villégiature, de services et d’attractions touristiques ; les
plus pauvres sont désertées ou hantées par leur population assistée :
fermeture des écoles, des bibliothèques, des lieux de rencontre, des résidences
pour personnes âgées, des lieux de cultes, désertion des jeunes, isolement des
régions.
La disparition des villages, que contournent les
autoroutes convoyant touristes et marchandises, est d’une infinie
tristesse : la dévastation de l’âme d’un peuple et de son pays se
manifeste concrètement dans cette réalité imposée par les managers. Les régions
du Québec, comme partout dans le monde, sont menacées par ce que
l’anthropologue Marc Augé appelle des non-lieux, ces espaces désertiques
essentiellement fonctionnels12. Ils sont là en attente de plus
grands désastres, d’un projet de développement immobilier ou touristique, d’une
mine, d’un entrepôt Amazon ou de serveurs informatiques, d’une centrale
nucléaire contrôlée par des algorithmes, ou encore d’un train de produits
toxiques susceptible de dérailler et d’exploser en plein village par une chaude
soirée d’été ‒ plus efficace destructeur que n’importe quel attentat
terroriste. On pourra dès lors, sur ces décombres, ériger un site touristique
et commémoratif attrayant, éducatif, s’adressant aux jeunes familles, avec
reconstitution de la catastrophe grâce aux effets spéciaux dans lesquels on
excelle au Québec. Le spectacle serait produit par le Cirque du Soleil avec un
montage financier privé et public (surtout public). Des kiosques animés par des
jeunes motivés nous rappelleront l’urgence de planter des arbres, de manger
bio, de défendre la diversité, et pas seulement écologique. On peut alors
légitimement se demander : l’indépendance pour quoi faire, et vis-à-vis de
quel empire ?
Si, comme l’affirme Jean-François Nadeau, l’idée
souverainiste des années 1970 et de René Lévesque portait un projet politique
de dépassement de soi, on ne peut pas dire qu’il en a lui-même retenu la leçon.
Lui qui reprenait à sa façon la logique du blasphème contre ses
« amis » de Charlie Hebdo abattus par les djihadistes en
2015 pour leurs opinions sur l’islamisme violent: mieux vaut se la fermer13.
C’est d’ailleurs ce que font d’innombrables journalistes ou profs aujourd’hui,
quand ils ne hurlent pas avec les loups.
Selon le militant Pierre Céré, la charte des
valeurs fut une tragédie. « La charte des malheurs », comme l’appelle
en rigolant Dina Husseini, militante également. Cette charte m’était aussi
apparue comme une triste farce, une parodie de la Charte des droits et
libertés, qui est elle-même une parodie des droits fondamentaux ‒ qui viennent
avec des responsabilités (Simone Weil14). Selon moi, la
« tragédie » commence en amont cependant, dans le désastre que nous
habitons tous aujourd’hui, qui n’a rien d’une abstraction et qui trouve des
déterminations bien antérieurement aux curés ultramontains transformés depuis
lors en chantres de la religion du progrès. Il y a plus d’un demi-siècle,
Günther Anders décrivait déjà l’obsolescence de l’homme et de la majeure partie
de ce que fut la culture dite humaniste. Observations semblables chez le
sociologue Jacques Ellul qui insista sur l’illusion politique et la disparition
de la liberté dans la société technicienne dont la valeur-mère vise à ne jamais
ralentir la machine : injonction à consommer, à produire, à se
divertir et à se soumettre à la croissance illimitée des nouvelles technologies,
au nom de la sécurité et de la liberté individuelle qui, en retour, consiste à
répondre à son désir de consommer inculqué par les experts en propagande
publicitaire, confondue souvent avec la culture. Il existe une loi
sociologique, rappelait Ellul : quand tout le monde est d’accord pour
revendiquer une valeur, c’est qu’elle a disparu. Ainsi en va-t-il de la
diversité, comme de la culture en général. Or la disparition des valeurs et
leur contrefaçon, tels des zombis, alimentent le désastre tout autant que le
ressentiment.
C’est donc le désastre qu’il s’agit aujourd’hui
d’habiter, désastre qui nous précipite tous, qui que nous soyons, les uns sur
les autres, détruisant l’intervalle vital entre les personnes et les peuples,
la vie privée et la vie publique, l’action et la contemplation. Qui détruit ce
que H. Arendt appelait l’entre-deux, cet espace où l’humanité se crée par ses
œuvres et sa parole, surtout. Distanciation qui rend le monde habitable.
L’intervalle produit par la culture au sens fort du terme, et qui la produit.
C’est ce que Marc Augé appelle la condition humaine en partage15. Il
existe des « conditions » au partage de la condition humaine :
faire en sorte que tous aient les ressources vitales pour vivre dans ce
désastre et, qui sait, l’atténuer ‒ autrement qu’avec la technologie nihiliste
du transhumanisme, s’entend. Parmi ces conditions essentielles, outre le gîte
et la nourriture, il faudrait inclure le temps de vivre qui n’est pas celui des
processus techniques ni de la raison touristique ou l’hyper mobilité que
commandent les managers. Belle illusion. Mais la toute première de ces
conditions serait de reconnaître le désastre que nous habitons et qui nous
habite. On peut alors, sur ce critère, affirmer que le dernier documentaire de
Mme Pelletier échoue lamentablement.
Univoque, clos et manichéen, le regard de Mme
Pelletier sur le nationalisme québécois ne dépasse pas le pamphlet local, car
le monde tel qu’il va en est exclu. Par la démagogie de ses images, elle
associe spectaculairement les manifestations xénophobes du groupuscule Storm
Alliance aux manifestations pour la laïcité et à la CAQ auxquelles elle oppose
le fleuve majestueux de la diversité. Répétons-le : cette démagogie
ne nous dit rien de la réalité, ne peut que renforcer le ressentiment des uns
et des autres.
Francis Boucher, essayiste et expert des
communications politiques, évoque dans ce documentaire les passions tristes de
Spinoza qu’il attribue au nationalisme ethnique. Doit-on en conclure que Mme
Pelletier échappe aux passions tristes ? Non. En voulant se déprendre d’une
idéologie, la cinéaste entretient un point de vue tout aussi marqué par le
ressentiment. Mais selon elle, malgré ce nationalisme identitaire qui empoisonne
le Québec, qui s’étalerait sans partage dans les médias, la diversité
telle qu’elle la conçoit est là pour sauver l’âme du Québec : « Petit
à petit, le Québec est en voie de s’ouvrir à nouveau sur le monde, déclare la
réalisatrice pour conclure son film. Le changement est dans l’air, la diversité
aussi. L’âme du Québec, loin de disparaître, s’élargit. » Des images
aériennes du Saint-Laurent, plutôt sombre, représentent l’élargissement vers le
large, peut-être vers une eau plus claire. Le problème, c’est que le monde, le
large, est inexistant dans cette réalisation. En conséquence, le fleuve de la
réalisatrice symbolise davantage la liquéfaction du monde, son effacement,
qu’un ressourcement dans ce que Vadeboncoeur appelait l’interrogation
anticipatrice. La vision de Francine Pelletier est celle d’un monde fantôme
habité par des gens condamnés à l’errance, des monades, les particules
élémentaires d’un chaos animé par des techniques, dont celles du droit
abstrait.
Peut-on aujourd’hui envier, comme Hannah Arendt
dans La tradition cachée, celui qui n’a pas de patrie ? Ou rêver
d’appartenir à un peuple paria, constitué d’errants sédentaires, comme le
regrettait Pierre Vadeboncoeur ? Peut-être ne doit-on rien regretter. H. Arendt
évoque dans son livre les grandes vagues de migration du XIXe siècle,
qui ont frappé le peuple juif d’abord, mais aussi la plupart des peuples
d’Europe. « Ainsi les réfugiés de tous les pays souverains chassés de pays
en pays, devinrent-ils l’avant-garde de leurs peuples. Les citoyens du monde du
XIXe siècle sont devenus, à contrecœur, au XXe siècle les
voyageurs du monde. On devrait rester conscient de cette tradition. Car le
sentiment d’infériorité que nous avons développé est diamétralement opposé à
notre signification politique16. » Observation qui demande
réflexion, mais en est-on capable aujourd’hui ? Quelle est la signification
politique de ces parias chassés d’Europe ? Chassés de partout en fait. Qui
n’est pas un déraciné en ce monde ? Quel peuple est-il en mesure de résister à
la colonisation des esprits par les nouvelles technologies du nihilisme ? Les
nations les plus puissantes courent le plus grand danger quant à leur humanité.
De tout temps, les civilisations s’inventent sur des ruines, des fragments de
traditions, bonnes et mauvaises. Dans une société sans qualités, se passionner
pour la création de ce que la grande théoricienne politique appelait des milieux
culturels relève du degré le plus élevé du sens de la politique et de
l’histoire. C’est ce qu’elle appelait dans La crise de la culture le
tendre souci pour le monde, attitude opposée à la volonté de dominer le monde,
de le posséder17. Ces milieux culturels ne sont pas des communautés
repliées sur elles-mêmes à la manière des lobbies (religieux, identitaires,
politiques ou financiers) au service de l’empire, mais des communautés
d’individus soucieux de créer des intervalles, des entre-deux où peut naître
une parole dialogique incarnée dans un temps et dans un lieu qui permet la
création d’un sens commun ‒ d’un pays ? Sans une référence, une racine, sans un
« nous » ancré dans une patrie ou une nation, il ne peut tout
simplement pas y avoir d’intervalle, d’entre-deux, de multiple ni de commun.
Pas de passion pour le monde, mais plutôt une passion pour ses intérêts dictés
par le conformisme. Car telle est la pluralité sociale : racines et
intervalles. C’est dire qu’il n’y a pas de démocratie, de liberté, de joie,
sans tourments. La difficulté, que les pauvres gens connaissaient peut-être
d’instinct, consistait à être à la fois voyageur, étranger, et hôte. La
démesure du monde ne le permet plus librement ; elle l’impose, mais à quel prix
? Il faudra autre chose que de l’idéologie produite par l’empire du Bien pour
rétablir les conditions de cette humanité.
Encore un petit effort, jouons de l’intervalle.
Dans son magnifique essai sur le ressentiment, Ci-gît l’amer, la
philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury fait cette remarque politique
judicieuse qui s’adresse à quiconque, partout dans le monde, a le souci de
penser, créer, vivre parmi les autres :
« Il
existe bien sûr des individus résolus idéologiquement, des intégristes, mais
ils sont extrêmement peu nombreux et ne seraient pas si difficiles à contrer si
la masse lâche n’était absente. Ils pourraient donner l’impression d’ailleurs
de sublimer leur ressentiment, ce qui est théoriquement impossible. […] Ou
alors, ils sont habiles à mentir quasi parfaitement, ils ont atteint un tel
faux self qu’ils ne savent plus distinguer la vérité de la mauvaise foi. Ils se
parent de vertu, donnant au mal l’allure d’un bien supérieur18. »
La réalisation de Mme Pelletier, en faisant
abstraction du désastre qui est maintenant notre maison, ne permet
malheureusement pas de guérir du ressentiment que comporterait ce
« nous » suspect de se complaire dans la position à « je-nous »,
comme la plupart des peuples errants et sans qualités. Mais soumis à quoi au
juste, à quel empire ?
[1] Radio-Canada, https://ici.tou.tv/bataille-pour-lame-du-quebec
[2] Albert
Memmi a proposé la notion d’hétérophobie dans son étude sur le racisme.
Celle-ci désigne la peur de l’autre, quel qu’il soit. Cette peur n’est pas
toujours motivée par le racisme, qui comporte un degré de peur et de haine
singulier.
[3] David Di
Nota, J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel
Paty, Le cherche midi, 2021.
[4] Pierre
Vadeboncoeur, Essais sur la croyance et l’incroyance, Bellarmin, 2005,
p. 15.
[5] Pierre
Vadeboncoeur, « Je dois voir double » dans Un génocide en douce,
L’Hexagone/Parti pris, 1976.
[6] Ibidem,
« Errants sédentaires » p. 20-29.
[7] Marc
Chevrier, L’empire en marche. Des peuples sans qualités, de Vienne à Ottawa,
PUL, p. 332-333. Au début du XXe siècle, le grand romancier
Robert Musil ‒ source d’inspiration pour M. Chevrier ‒ a bien vu la
grande fête de la modernité triomphante, l’insignifiance culturelle ou le
conformisme qu’elle produisait déjà dans les salons de Vienne et des grandes
capitales d’Europe (cf. L’homme sans qualités, tome 1 et 2, Éditions du
Seuil, 1982).
[8]
Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance. Les carrefours du
labyrinthe IV, Éditions du Seuil, 1996.
[9] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-sur-le-multiculturalisme-canadien.
[10]
Brewster Kneen, La tyrannie des droits, préface d’Anne-Marie Voisard,
Écosociété, 2014.
[11] René
Girard, Quand ces choses commenceront…Entretiens avec Michel Treguer,
Arlea, 1994, p, 113.
[12] Marc
Augé, Non-lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité,
Gallimard, 1992.
[13] Il faut
rappeler qu’au lendemain du massacre des journalistes de la revue satiriste Charlie
Hebdo, le chroniqueur du Devoir réussissait le tour de force de
célébrer le courage et le talent des caricaturistes, dont celui de « l’
ami Charb », tout en insistant sur ce qui aurait été une tendance
islamophobe lourde de la revue. Plus grave encore, cette islamophobie
tendancieuse aurait été motivée par des soucis bassement financiers, le besoin
d'augmenter les revenus de la revue. Dans sa chronique très inspirée,
Nadeau parvenait également à faire le lien entre le djihad violent et
l’ultramontanisme qui exista au cours de l’histoire du Québec. On
comprend dès lors que si, dans l’esprit du chroniqueur du Devoir,
l’islamisme meurtrier en 2015 à Paris signifie la même chose que
l’ultramontanisme de jadis au Québec, il est difficile de comprendre quoi que
ce soit au rôle des intégrismes dans le développement des guerres de religion
et aux paradoxes de la modernité triomphante. Et que dire de son sens de
l’amitié ? Le massacre avait eu lieu la veille de son article !
Reconnaissons-lui le courage d’avoir écrit ce qu’il pensait (Le Devoir,
8 janvier 2015 https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/428361/bete-et-mechant) ?
[14] Simone
Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être
humain, Gallimard, 1949.
[15] Marc
Augé, La condition humaine en partage, Éditions Payot & Rivages,
2021.
[16] Hannah
Arendt, La tradition cachée. Le Juif comme paria, Christian Bourgois
éditeur, 1987, p. 54.
[17] Hannah
Arendt, La crise de la culture, Folio essais, 1972, p. 271
[18] Cynthia
Fleury, Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, Gallimard, 2020, p. 194.