Survivante de la Décennie noire qui a plongé l'Algérie dans la terreur salafiste, cette "nouvelle invasion culturelle" comme l'appelle un des témoins du film, Nadia Zouaoui retourne dans son pays pour y chercher l'esprit de son enfance.
C'est sur les ruines de la culture ancestrale qu'a fleuri l'intégrisme politique, dont la colonisation française est en partie responsable. En revanche, et c'est la bonne nouvelle du film, cette culture vit encore à travers des gens qui résistent: des intellectuels, des artisans, des gens ordinaires, des survivants, mais aussi des jeunes gens qui vivent au fin fond de l'Algérie. Certains d'entre eux ont connu le salafisme de l'intérieur, en sont sortis comme d'une épreuve, mais aussi d'une trahison de leur être profond. Ils sont maintenant assoiffés de culture et il ne fait pas de doute dans leur esprit que celle-ci passe par la laïcité.
C'est sur le regain de cette culture, carrefour entre la tradition soufie et laïque, la spiritualité et la politique, que renaîtra un imaginaire social alimenté par la vie plutôt que par la mort; un imaginaire réconciliant la vie et la mort; l'amour de la vie nourrissant l'âme qui, dans son voyage à travers l'éternité, se réincarne dans le fruit de son amour pour veiller ainsi sur le jardin du monde.
Le salafisme, comme tout esprit totalitaire, s'en prend d'abord à l'amour de la vie terrestre, puisque c'est par cet amour même que le pouvoir lui échappe. Et comme tout esprit totalitaire, le salafisme amalgame laïcité et athéisme, laïcité et absence de spiritualité, de magie, de légendes, de mythes, de culture.
L'histoire de l'Algérie, le pays qui a le plus souffert de la terreur islamiste selon la cinéaste, montre notamment que c'est la religion expurgée de sa pratique populaire qui détruit le lien spirituel entre les hommes et l'univers, dont la religion en fournit un langage, des pratiques. Or des cultes ou des rituels sans culture conduisent au ridicule et au crime. Comme le remarque un témoin du film, la laïcité, produit de la culture, de la diversité sociale qui ne soit pas un dogme de la mondialisation capitaliste, protège même la religion des intégrismes. Laïcité et religion ne s'excluent pas si la culture, la faculté de relativiser ses propres croyances, en est la médiation.
Combattre les intégrismes, débattre de cet énorme enjeu de société, est loin d'être simple, comme l'explique l'écrivain algérien Kamel Daoud à la fin du film, lui-même victime d'une fatwa lancée par les islamiste et accusé d'islamophobie par la gauche identitaire occidentale. Les termes du débat se trouvent souvent inversés par la puissance de démagogie des islamistes et leurs alliés qui accusent de trahison ceux et celles qui luttent pour la laïcité, contre l'emprise des intégristes sur tous les secteurs de la société, à commencer par les institutions publiques, l'éducation, le système juridique, etc. Les bourreaux sont alors confondus avec les victimes, dit Kamel Daoud.
Le documentaire de Nadia Zouaoui fournit des clés essentielles pour le débat sur la laïcité et la place de la religion dans la vie des individus, des communautés et des sociétés. Ce débat, qui nous concerne tous, c'est celui de la culture ou plutôt celui de la déculturation généralisée qui a des causes multiples et complexes. C'est la perte des moyens pour comprendre ce qui se joue dans le monde. Personne n'échappe à cette déperdition, à cette aliénation culturelle.
D'une grande beauté cinématographique, L'islam de mon enfance nous amène à la rencontre de gens enracinés dans leur peuple et dans le monde, de paysages fabuleux qui les habitent autant qu'il les entoure.
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