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Michel Seymour et le communautarisme: l'ADN a bien meilleur goût

Dans un texte d’opinion paru dans Le Devoir le 6 juillet 2017, le professeur Michel Seymour monte à la défense du communautarisme. Il affirme d’abord, avec raison, qu’il ne faut pas mettre l’ensemble des musulmans du Québec dans une communauté homogène. Son critère pour faire valoir cette hétérogénéité est néanmoins fallacieux: ils viennent de divers pays, dit-il. C’est une évidence, mais ce n’est assurément pas un critère d’hétérogénéité puisque, dans un même pays, la diversité repose sur des questions idéologiques diverses, dont religieuses. En Arabie Saoudite, par exemple, en France, en Syrie, en Angleterre ou au Québec, tous les musulmans n’ont pas la même conception du monde, de l’État, de leur propre religion comme de celle des autres.

 Monsieur Seymour affirme aussi, et c’est infiniment plus grave sur le plan de l’honnêteté intellectuelle, que «les musulmans du Québec n’ont même pas de clergé». Affirmation qui laisse entendre qu’ailleurs dans le monde les musulmans ont un clergé. C’est non seulement faux, mais c’est surtout ignorer la signification théologique et politique d’une telle réalité: l’absence d’Église et de clergé signifie que la parole de Dieu ‒ l’absolu ‒ s’exprime directement, sans la médiation de la parole humaine. Cette conception religieuse, qui est un fait anthropologique élémentaire, suscite heureusement des interprétations différentes et divergentes dans le monde musulman, qui vont de la modération à l’intégrisme le plus violent et conquérant. Il existe même des musulmans, à l’opposé d’islamistes et d’intellectuels de gauche s’exprimant au nom du vivre ensemble, qui défendent avec force le modèle républicain laïque français, Voltaire, les Lumières et certains aspects de la modernité, comme la liberté de conscience. Le regretté Abdelwahab Meddeb écrivait ainsi, dans Pari de civilisation: «La fiction qui attribue la parole coranique à Dieu même a produit un effet cardinal sur les imaginaires. Elle a aussi contribué à la structuration symbolique des sujets, lesquels visualisent à travers le Coran une figure concrète de l’absolu, qui borne et enveloppe le site relatif où se dressent leurs propres silhouettes.» Ignorer cette réalité et ses conséquences, c’est faire injure à ceux qu’on prétend «tolérer». Il n’y a d’ailleurs pas à «tolérer» qui que ce soit, mais à vivre avec tous les individus qui apparaissent dans la société, même dans le «choc des interprétations», pour reprendre l’expression de Meddeb. Encore faut-il que les conditions de ce choc soient aménagées autour de la liberté de conscience et des institutions qui la soutiennent. Ce n’est pas simple, admettons-le.

 Selon le professeur Seymour, c’est en France que se trouve l’origine de la peur du communautarisme – comprendre la peur de l’autre, l’islamophobie, les tares et les torts habituels. Et de nous expliquer les causes historiques de la fermeture séculaire de la France: elle est entrée dans la modernité par les guerres de religion et elle a un passé colonial. Faut-il un doctorat en histoire pour savoir que le passé colonial n’est pas l’apanage de la France? Que l’Angleterre, puissance coloniale et impériale, a plutôt favorisé le modèle multiculturaliste; qu’elle vient d’entrer dans un processus de négociation pour sortir de l’Europe; et que son fameux modèle multiculturaliste pourrait aussi être remis en question, pour le meilleur et pour le pire, mais ici n’est pas la question. Quant aux guerres de religion, il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour découvrir que cet énorme conflit déborde largement les frontières de la France, qu’il s’apparente à un conflit européen, que le facteur religieux fut instrumentalisé par des pays voisins pour affaiblir la France et, ainsi, mieux conquérir le monde.

 Les guerres de religion ont indubitablement joué un rôle important dans la naissance de la modernité et de la civilisation libérale. Des philosophes, des sociologues pensent que cette civilisation repose sur la neutralité axiologique (qui n’est d’ailleurs neutre que dans l’esprit des idéologues du libéralisme), qu’elle favorise l’atomisation de la société, son éclatement en mosaïques communautaires que la mondialisation capitaliste tend à placer en compétition les unes avec les autres. Ce ne sont donc pas des critères étroitement ethniques qui conduisent à des replis communautaristes, comme l’affirme M. Seymour, mais des réalités sociales qui produisent l’atomisation de la société.

On peut alors se demander si l’obsession ethnique ne se trouve pas au fondement même de l’idéologie multiculturaliste, ou interculturaliste, que ces systèmes sont censés combattre, mais sans mettre en question le libéralisme économique et culturel. Invoquer «l’ADN politique du Québec», comme le fait le professeur Seymour, me semble un lapsus éloquent. Davantage qu’une métaphore à la mode, il s’agit de naturaliser son discours. De quoi s’agit-il, sinon de laisser croire que la «nature» du Québec, son «caractère distinct», le place à l’abri de l’histoire, de déterminations sociales qu’on aimerait voir disparaître sous le tapis des bons sentiments?

Entre faire parler l’ADN d’un peuple ou Dieu, quelle différence? Ce langage sans nuance menace non seulement le peuple québécois, mais les éléments les plus civilisateurs de nos sociétés.

 

 Ce texte est associé à L'Occident contre les Iraniennes.

 


 

 

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