Ce
texte de Jean-Pierre Le Goff me touche tout particulièrement, d’abord
parce qu’il évoque 1990, l’année de la naissance de Léo, mon fils, mais
aussi la décennie où j’ai rencontré mon ami Miguel à l’école de nos
enfants,
sur ces comités bidons appelés l’Organisation de participation des
parents et Conseil d’établissement: des instances crées par le
gouvernement péquiste,
mais non moins néolibéral, de Pauline Marois. Bref, en dépit de ce qui
continuait à s’effondrer dans le système d'éducation et dans la société
en général, on espérait agir pour que nos enfants aient le meilleur
enseignement possible. Comme l'écrivait Ducharme, "on est des
désespérés, mais on ne se découragera jamais".
Déjà
l’école FACE, dite alternative, était gérée comme une entreprise; les
parents
trônaient sur un simulacre de Conseil comme des actionnaires symboliques
et zombies.
Le modèle allait se répandre, programme alternatif ou pas. Alternatif
voulait
surtout dire qu’au rythme de la musique et des arts, faute de
soutien adéquat de la part de la direction, les enseignants et
enseignantes tombaient en épuisement
professionnel. Leurs chutes étaient cependant étouffées par la vertu
morale qu’on
attribue faussement aux arts, quand ceux-ci sont détournés de leur
finalité créatrice au profit de l’adaptabilité et du conformisme social.
Il est vrai que la distinction est de plus en plus difficile à faire.
C’est à cette époque que j’ai lu un des premiers essais de Jean-Pierre Le Goff, La barbarie douce, qui a pour sous-titre, La modernisation aveugle des entreprises et des
écoles. Le Goff mettait notamment
le doigt sur les dérives de la gauche moderniste vers l’esprit
d’entreprise
doublé d’une tendance moralisatrice, le politiquement correct. On voit
bien s'épanouir et s'exprimer cette tendance aujourd'hui, le
Pacte de transition (ou de trahison?) en est un exemple éloquent.
Cette tendance moralisatrice de la gauche moderniste a pour fonction de creuser
l’abîme qui sépare les bobos des ploucs, des beaufs ou des ringards. Ce
qui conduisait Le Goff à écrire dans une formule sibylline :
« Le moderniste de gauche est un moralisateur branché. » Comme à
l’école FACE, son art de la communication et de la séduction, produit de
la société du spectacle et de la culture du narcissisme, lui
permet de projeter la faute sur l’autre, qui n’est pas toujours
l’étranger
contrairement à une idée reçue, et de passer, lui, pour un être
vertueux, créatif, ouvert, tolérant, alors
qu’il faudrait, pour des raisons d’écologie évidente, combattre
vigoureusement son désir illimité de croissance et de mobilité,
physique et identitaire, lui et ses productions dites artistiques,
polluantes à l’os, contaminant l’air, l’eau,
l’imaginaire et les mots.
Combien faut-il de skidoo pour atteindre le niveau de destruction écologique (nature et culture confondues) produite non seulement par les caprices circassiens et lunatiques de Guy Laliberté, mais les réalisations mégalomanes de Dominic Champagne (Moby Dick au TNM*), de la culture du divertissement relayée par Guy A. Lepage, par l'industrie de l'humour, les films de série B servant de stratégie de vente à l'industrie de l'automobile, etc. Combien faut-il de skidoo pour égaler en pollution le tourisme de masse, aussi cultivé et exotique puisse-t-il paraître, hors des sentiers battus, dit-on, la main posée sur le logo Mountain Equipment de son blouson high tech? Les voyages forment et déforment la jeunesse vieillissante, à la même vitesse qu'ils détruisent la planète**.
Combien faut-il de skidoo pour atteindre le niveau de destruction écologique (nature et culture confondues) produite non seulement par les caprices circassiens et lunatiques de Guy Laliberté, mais les réalisations mégalomanes de Dominic Champagne (Moby Dick au TNM*), de la culture du divertissement relayée par Guy A. Lepage, par l'industrie de l'humour, les films de série B servant de stratégie de vente à l'industrie de l'automobile, etc. Combien faut-il de skidoo pour égaler en pollution le tourisme de masse, aussi cultivé et exotique puisse-t-il paraître, hors des sentiers battus, dit-on, la main posée sur le logo Mountain Equipment de son blouson high tech? Les voyages forment et déforment la jeunesse vieillissante, à la même vitesse qu'ils détruisent la planète**.
En
amont de cet abîme entre le bobo et le plouc, se trouve un formidable travail de déculturation, ou
d’acculturation, mis en œuvre par la société de consommation, l’idéologie
technicienne et technocratique, un immense travail de déracinement et de
destruction des cultures populaires, de migration vers les grands centres
urbains afin de créer des parcs d'écologie artificielle. Forillon est un bel exemple, sinon la Gaspésie au grand complet.
Je pourrais paraphraser un recueil de Joséphine Bacon et de José Acquelin, Nous sommes tous des sauvages. Hélas, ces sauvages deviennent des bouffons, esclaves de cirques dirigés par les barbares dont parlait Le Goff dès 1999. Comme le rappelle le grand écrivain George Steiner dans son terrible essai Dans le Château de Barbe- Bleue. Notes pour une redéfinition de la culture (1971), Théophile Gautier préfigurait peut-être déjà au XIXe siècle les horreurs de la Shoah en s’écriant : « La barbarie plutôt que l’ennui! »
Je pourrais paraphraser un recueil de Joséphine Bacon et de José Acquelin, Nous sommes tous des sauvages. Hélas, ces sauvages deviennent des bouffons, esclaves de cirques dirigés par les barbares dont parlait Le Goff dès 1999. Comme le rappelle le grand écrivain George Steiner dans son terrible essai Dans le Château de Barbe- Bleue. Notes pour une redéfinition de la culture (1971), Théophile Gautier préfigurait peut-être déjà au XIXe siècle les horreurs de la Shoah en s’écriant : « La barbarie plutôt que l’ennui! »
La
barbarie douce s’annonce violente. Vivement l'ennui.
* Cliquez ici pour lire le texte de Noémi Mercier paru dans L'actualité sur la production de Moby Dick au TNM en 2015.
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