« Nous
sommes aujourd’hui dans le règne non pas exactement de l’intelligence, mais de
l’intelligence-outil. La raison a trop éprouvé sa puissance, qui est certaine,
pour ne pas se défier de la toute-puissance de l’inspiration, qui est incertaine.
La personne n’est acceptée qui [sic]
si elle consent à se spécialiser, à se segmenter, alors que l’homme ne peut
parvenir à un pouvoir créateur lumineux que s’il se saisit dans sa confusion
totale. On parle « d’instants poétiques » de « tentations
poétiques », toutes choses qui divisent l’être au sein du temps, alors
qu’il ne peut y avoir pour l’intelligence véritable, qui est conscience de la
création, qu’une seule durée où tout existe à la fois, où le non-existant se
prépare déjà.
C’est surtout à propos du pauvre qu’il est aisé de calculer combien
cette intelligence-outil est machine à trahir. La raison ne se croit pas tenue
d’être sincère, mais seulement d’informer de la vérité; elle oublie que si elle
peut démontrer l’absurdité d’une institution humaine elle ne peut, séparée de
l’amour, que former des systèmes, où l’homme risque de se trouver plus mal à
l’aise que dans les sociétés nées de la conspiration du hasard et de
l’intrigue; aux maux naturels, qu’elle est impuissante à détruire, elle ajoute
les maux artificiels qu’elle crée. Son art politique est l’art du malheur.
Surtout la Raison recommande de dissocier la pensée de la matière
humaine où elle est engagée, de faire de l’histoire une offrande à l’idée. »
Armand Robin, L'homme sans nouvelle. Proses, Le Temps qu'il fait, 1981.
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