Raciste, le projet de loi 21 équivaudrait
à un nettoyage ethnique. L’accusation n’est pas lancée par un quidam, un
« Pineault-Caron » qui n’a comme seul argument que la pauvreté de son
ignorance, mais par le Dr William Steinberg, un élu municipal qui
dispose d’un puissant pouvoir de persuasion.
Non seulement M. Steinberg est
maire d’Hampstead, une des municipalités les plus riches au Canada, mais il est
très engagé dans les affaires privées et publiques. On peut lire sur sa page
Web qu’il détient un doctorat en psychologie, qu’il a enseigné à l’Université
Concordia, qu’il dirige une affaire de logiciels permettant aux entreprises
d’évaluer la satisfaction de leurs clients et la motivation de leurs employés.
Parangon de l’utralibéralisme ‒ la psychologie au service des affaires ‒ , il
est donc outillé pour bien comprendre ce que signifie un nettoyage ethnique et
ce que ces accusations impliquent. Mais peut-être comprend-il moins bien ce que
la démocratie veut dire, une démocratie qui ne serait pas déterminée par une
doctrine néolibérale dans laquelle les droits privés censurent d’autres
critères, comme le droit de débattre du sens des croyances et doctrines
sociales.
Le projet de loi 21 a donc aux yeux
Dr Steinberg une portée génocidaire. Dit plus brutalement, ce serait
un crime contre l’humanité. Cette accusation gravissime est vraie ou fausse? Si
elle est vraie, le projet de loi est ignoble; si elle est fausse, l’accusation
doit être fermement condamnée par la classe politique. À ce stade-ci du
processus parlementaire, elle est fausse pour d’innombrables Québécois, hommes
et femmes, des musulmans, des juifs, des chrétiens, pratiquants ou pas.
Un sondage relativement récent
révèle que plus de 70% de la population serait favorable au projet de loi. Ce
fort pourcentage est un indice d’inclusion, ne signale rien d’une quelconque
obsession identitaire nationale qui, c’est un euphémisme de le dire, vole bas depuis
longtemps. Et le coup du bouc émissaire pour raviver un nationalisme ethnique est
douteux, alors que le fantasme techno d’abolir le temps, l’espace et toutes les
contraintes normatives colonise notre imaginaire. L’obsession est donc
ailleurs, dans d’autres baudruches identitaires qui contribuent au morcellement
social. Il est vrai cependant que toute tentative pour contrer cette
atomisation est perçue comme réactionnaire, raciste, fasciste.
Quand des chroniqueurs, des universitaires
ou Québec solidaire affirment que l’islamisme est un fantasme, ils reprennent
en cœur la ritournelle des islamistes eux-mêmes. Les islamosceptiques
s’apparentent à ce chapitre aux climatosceptiques : il n’y a pas de danger,
le voile n’est qu’un bout de tissu, l’islamisme n’existe que dans la tête des
méchants. Soyez tolérants et ça vous passera.
Vous irez défendre votre
islamoscepticisme, vous les tolérants, auprès de ceux et celles qui se battent quotidiennement
en Turquie, en Iran, au Maroc, en Algérie ou en Arabie Saoudite au risque de
leur vie pour échapper à la loi des hommes ultareligieux; pour pouvoir danser
librement, écrire librement; ne pas prier obligatoirement, critiquer l’islam
sans se prendre une fatwa ou carrément une balle, un viol. Et n’en déplaise aux
250 universitaires de la lettre parue dans Le
Devoir du 5 avril dernier, d’innombrables recherches, œuvres et témoignages
vont exactement dans le sens contraire des recherches qu’ils évoquent pour
soutenir leur thèse. « Pour les islamistes, affirme la philosophe Renée Frégosi,la France est vouée à devenir islamiste »… Elle aurait pu dire l’Occident.
Le refus catégorique de prendre en compte le point de vue de ceux et celles qui
craignent pour leur vie, parce qu’ils critiquent
l’islam, est aussi inquiétant que l’islamisme lui-même : il se nourrit d’une mauvaise conscience qu’apaiserait la soumission. Et le problème est moins la
mauvaise conscience, nécessaire à toute transformation de soi, que le désir de
soumission.
Pour faire du réchauffement
climatique sa priorité, Québec solidaire se détourne du problème délicat et
compliqué que représente l’enjeu de la
laïcité : l’islamisme n’existe pas, « liberté totale » quant au
port des signes religieux. Cool! Quand viendra le temps de défendre la décroissance
– c’est ce qu’implique la lutte au réchauffement climatique ‒, il sera singulièrement
difficile de convaincre le plus grand nombre de sacrifier son confort, ses
loisirs, ses excès numériques et touristiques : c’est mon droit, ma foi, ma life. Vous essaierez alors, vous les
tolérants, de les convaincre du bien commun en solidarité avec le DrSteinberg et ses alliés libéraux, de gauche et de droite, qui blanchissent leur
conscience tranquille avec des crédits carbones.
Brandir le racisme comme anathème,
c’est sans doute ignorer ce qu’est le racisme : « une dévaluation
d’autrui afin d’en tirer quelque avantage », selon Albert Memmi, mais
c’est surtout instrumentaliser une
notion concept hautement polémique à des
fins de censure. Comme celles d’islamophobie et de xénophobie. Qu’il existe de
l’hétérophobie dans la société
québécoise, comme dans n’importe quelle société, cela ne fait aucun doute. Le
projet de loi 21 ne vise même pas l’interdiction du voile, mais une
restriction. Évoquer la discrimination
est une tautologie, puisque tout règlement vise forcément à discriminer. Parler, c’est discriminer; juger, c’est
discriminer. La liberté n’a de sens que par la capacité de déterminer des
limites, individuellement et collectivement. Éduquer, c’est notamment transmettre
un savoir permettant aux individus de juger des limites. Accorder la liberté à
ce qui est liberticide n’est plus la liberté.
Or ce que le projet de loi 21 vise
ce n’est pas la foi de qui que ce soit, mais le signe ostentatoire d’une foi ‒
toujours hypothétique par ailleurs, a fortiori dans une société laïcisée et
fortement marquée par le culte des libertés individuelles[1]
‒ dans certaines conditions très précises. Lors d’un génocide ou d’un nettoyage
ethnique, c’est une filiation ethnique ou religieuse qu’un autre groupe vise à
supprimer, physiquement et par la violence ‒ la violence symbolique est à
prendre en compte. Ne pas faire cette nuance, c’est mal nommer les choses,
c’est contribuer au malheur du monde, comme l’écrivait encore Albert Camus.
Texte envoyé au Devoir le 7 avril 2019 et non publié.
[1] Cette logique des droits illimités étant par définition illimitée, il
n’y aurait aucun problème éthique à ce qu’une enseignante ou un enseignant se
présente un jour devant sa classe affublé d’un costume du bonhomme Carnaval. L’argument
des intégristes et des antiracistes à l’effet que ce n’est pas ce qu’on porte
sur la tête qui détermine ses compétences, mais ce qu’on dans la tête, est
d’une bêtise affligeante. L'acceptabilité est un phénomène sans limite qui accompagne le progrès des moeurs, lui-même illimité. On le voit bien dans la politique de QS. Hier favorable aux propositions de la commission Bouchard-Taylor, aujourd'hui considérées comme dépassées.La prochaine étape, déjà atteinte en fait, est de considérer comme légitime l'islamisation du monde.