Dans un texte d’opinion paru dans Le
Devoir du 19 avril, trois universitaires de renom (P. Neveu, G. Leroux et
M. Seymour) pourfendent le projet de loi sur la laïcité au nom des libertés
religieuses, notamment celle des
enseignantes qui désirent porter le voile islamique dans leur classe. Il s’agit
bien ici de protéger une minorité stigmatisée contre la majorité tyrannique.
Les trois auteurs reprennent
en fait les mêmes arguments que tous les opposants au projet de loi, auquel
ils opposent l’idée de « réserves de bienveillance, d’empathie et de
modération » qui rendrait vaine toutes contraintes légales. Cette idée de
réserves de bienveillance a certes des fondements anthropologiques indéniables,
mais ce qui étonne dans leur texte, c’est qu’elles seraient spécifiques, innées
sinon exclusives à la société québécoise.
Ce n’est pas la première fois que des intellectuels font valoir ce trait substantialiste... essentialiste plutôt, pour l’opposer à une loi sur la laïcité jugée arbitraire, liberticide, empruntée de surcroit à des modèles étrangers détestables, français et suisse. On doit alors comprendre que ces modèles républicains sont produits par des sociétés dénuées de réserves de bienveillance, qu’ils sont absolument contraires à l’esprit de tolérance et d’ouverture qui animerait toutefois les chartes canadienne et québécoise des droits et des libertés. Michel Seymour lui-même a déjà évoqué dans les pages du Devoir l’ « ADN » de la société québécoise, sorte de repoussoir naturel à toutes les formes d’intégrisme. Or on sait que ce terme emprunté aux sciences de la nature est généralement invoqué pour défendre le caractère transcendant ‒ théologique ‒, d’une identité nationale, à quoi s’opposent pourtant Michel Seymour et ses cosignataires.
Ce n’est pas la première fois que des intellectuels font valoir ce trait substantialiste... essentialiste plutôt, pour l’opposer à une loi sur la laïcité jugée arbitraire, liberticide, empruntée de surcroit à des modèles étrangers détestables, français et suisse. On doit alors comprendre que ces modèles républicains sont produits par des sociétés dénuées de réserves de bienveillance, qu’ils sont absolument contraires à l’esprit de tolérance et d’ouverture qui animerait toutefois les chartes canadienne et québécoise des droits et des libertés. Michel Seymour lui-même a déjà évoqué dans les pages du Devoir l’ « ADN » de la société québécoise, sorte de repoussoir naturel à toutes les formes d’intégrisme. Or on sait que ce terme emprunté aux sciences de la nature est généralement invoqué pour défendre le caractère transcendant ‒ théologique ‒, d’une identité nationale, à quoi s’opposent pourtant Michel Seymour et ses cosignataires.
L’argument des auteurs est donc incongru :
il condamne le projet de loi sur la laïcité parce qu’il aurait comme principal
travers idéologique de se constituer au nom d’une identité nationale porteuse
d’exclusion. Autrement dit, au nom des valeurs québécoises naturelles (réserves
de bienveillance), les auteurs contestent le projet qui serait motivé par des
valeurs québécoises, mais juridiques, politiques, donc artificielles…
Je ne doute absolument pas que les
auteurs pourraient nous expliquer que ces valeurs en réserve sont beaucoup plus
profondes et déterminantes que les valeurs québécoises énoncées par François
Legault par exemple, ou par les signataires du texte qui défendent le projet de
loi 21. Ces derniers, dont je suis, incarneraient la majorité tyrannique, forcément
liberticide.
Cette vision manichéenne est
cependant fausse pour la bonne raison que parmi cette majorité qui soutient le
projet de loi, se trouvent des gens appartenant à la fameuse diversité
culturelle, sociale et religieuse, dont des musulmans issus d’horizons
multiples, des enseignantes et des enseignants de tous les niveaux, des
artistes, des écrivains, des juristes, des croyants, des militants et des
militantes pour les droits de la personne, des gens qui s’inquiètent à juste
titre de la présence grandissante des intégristes dans la société, car leur
idéologie est mortifère. Or ces derniers bénéficient, au nom des droits
individuels et des identités minoritaires, du soutien d’intellectuels et de
militants. Ces islamosceptiques refusent catégoriquement d’entendre le
témoignage de ceux et celles qui ont été victimes d’exactions perpétrées par
les islamistes dans leur pays, et qui nous préviennent de leurs tactiques de
séduction. Le port du voile obligatoire en est une manifestation, les chartes
des droits leurs armes de prédilection.
Contrairement à ce qu’affirment les
auteurs, se pourrait-il que le projet d’une société laïque rassemble davantage
qu’il ne divise, notamment autour du problème de l’intégrisme à combattre ? Il
semble de plus en plus évident que la polarisation du discours est beaucoup
moins entre une vision religieuse et laïque de la société, mais davantage entre
ceux qui font de la revendication illimitée des droits une véritable religion et
ceux qui défendent une plus grande cohésion de la société, notamment en ce qui
a trait à l’éducation et aux valeurs communes à développer. Il est bien entendu
que ces valeurs vont au-delà d’une
politique ultralibérale des droits individuels et de la question religieuse.
Comme le faisait remarquer l’écrivain et économiste Bernard Maris, assassiné
par les islamistes dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, l’intégrisme religieux est favorisé par l’effondrement de larges pans
de la société emportés par « la dictature de l’argent et de
l’égoïsme ». L’intégrisme religieux et la tyrannie des droits sont les
avatars de cette dictature. Si une société laïque, ce que Maris appelait la
« fraternité anonyme », a la liberté pour horizon, celle-ci passe par
la lutte contre tous les intégrismes.
Texte envoyé au Devoir le 24 avril 2019. Non publié.
Sur le même sujet et dans cette page: Laïcité et nettoyage ethnique
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