Le progrès comme
religion
JACQUES
LANCTÔT
Journal
de Montréal
Samedi 19 janvier 2019
Curieux paradoxe. Lorsqu’on était (pas
si) jeune, on se donnait comme mission de toujours repousser les limites pour
pouvoir se réaliser pleinement, pour découvrir qui on est, et voilà quelqu’un,
un intellectuel presque de ma génération, qui plaide en faveur du sacré et de
la retenue, pour préserver « le mystère du monde ».
Comme si à force de revendiquer le
ciel et l’impossible paradis sur terre, de progresser vers l’utopie, ce qui
serait devenu une véritable religion, on avait brisé quelque chose de beau, on
avait profané l’interdit. D’où l’inévitable mauvaise foi, comme dans culpabilité non avouée. D’où ce plaidoyer de l’auteur pour un
« monde nu, sans artifice », à la Réjean Ducharme, « le plus aimable des fantômes » qui le hante à jamais.
« monde nu, sans artifice », à la Réjean Ducharme, « le plus aimable des fantômes » qui le hante à jamais.
Citant, en exemple, trois catastrophes
toutes dues à l’activité humaine, le déraillement du train de Mégantic, la
disparition du vol MH370 de la Malaysia Airlines et l’écrasement de l’Airbus A320 de la
Germanwings, McMillan démontre la
fragilité et les limites de la puissance et de la perfection tant recherchées,
au nom du sacro-saint progrès.
Tout est dans tout, disait un célèbre
philosophe chanteur. Il y aurait un lien « indirect,
mais réel » entre le déraillement du train de Mégantic et la crise bancaire de 2008.
La recherche intensive du profit – « on
a besoin de 100 % de rendement à l’intérieur d’un an » – n’expliquerait pas tout, mais serait néanmoins à l’origine
des nombreuses négligences criminelles.
Plus loin, l’auteur s’inquiète de la disparition du réel, cette
« relation sensible au monde », au profit du virtuel, ce
« cauchemar numérique ». Il compare ces bibliothèques, qu’on peut maintenant visiter virtuellement, à leur destruction par le feu, l’eau ou les réductions budgétaires, et plaide en faveur du retour à l’hésitation, à l’ambiguïté, à l’incertitude, « bref tout ce qui fait l’humanité ».
« relation sensible au monde », au profit du virtuel, ce
« cauchemar numérique ». Il compare ces bibliothèques, qu’on peut maintenant visiter virtuellement, à leur destruction par le feu, l’eau ou les réductions budgétaires, et plaide en faveur du retour à l’hésitation, à l’ambiguïté, à l’incertitude, « bref tout ce qui fait l’humanité ».
Mauvais présage : Voulant visionner le documentaire de Serge Cardinal sur l’histoire
de la bibliothèque, réalisé pour célébrer la création de la Grande Bibliothèque
nationale du Québec, il n’arrive pas à le trouver sur les étagères
de la GB. Pourtant le film est inscrit comme étant disponible. « J’ai quand même consulté les bibliothécaires
: les deux copies sont restées introuvables. » Et de conclure : « Quelle ironie qu’il soit disparu alors
qu’il est accessible sur le web ! » Serons-nous un jour attrapés comme des
mouches sous la grande Toile ? se demande McMillan.
Il n’hésite pas à prendre parti dans le débat
sur les signes religieux ostentatoires. Après avoir souligné la vacuité du projet de laïcité
du Parti québécois, il dénonce l’incohérence
politique flagrante de Québec solidaire et de son représentant d’alors, Amir
Khadir, qu’il accuse de « faire
le jeu d’un fondamentalisme religieux intolérant et intolérable, dont on ne
peut dire sérieusement qu’il est étranger à toute visée politique ». Plus loin, il continue à vilipender « les libéraux de gauche, ou d’extrême
gauche, qui ne dénoncent pas ouvertement le fondamentalisme ». Ceux-ci font preuve « d’un aveuglement inquiétant et d’un
manque de loyauté grave envers ceux et celles qui combattent l’intégrisme au
nom de la démocratie ». Ces soi-disant progressistes de
gauche, clamant tous azimuts leur tolérance et leur ouverture à l’autre et
vantant le multiculturalisme, sont, en fait, les alliés objectifs des libéraux économiques,
qui prônent les mêmes valeurs de rectitude politique.
On aura compris que cet ouvrage est
une compilation de chroniques, opinions et analyses, souvent réécrites, parues
dans différentes revues ou dans le quotidien Le Devoir.
Gilles McMillan élève sa voix inquiète
et discordante dans le trop harmonieux concert social où trop souvent le monde il est beau, il est gentil. Il faut l’entendre.
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