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jeudi 24 janvier 2019

Jacques Lanctôt sur Mauvaise foi


Le progrès comme religion
JACQUES LANCTÔT
Journal de Montréal
Samedi 19 janvier 2019

Curieux paradoxe. Lorsqu’on était (pas si) jeune, on se donnait comme mission de toujours repousser les limi­tes pour pouvoir se réaliser pleinement, pour découvrir qui on est, et voilà quelqu’un, un intellectuel presque de ma génération, qui plaide en faveur du sacré et de la retenue, pour préserver « le mystère du monde ».

Comme si à force de revendiquer le ciel et l’impossible paradis sur terre, de progresser vers l’utopie, ce qui serait devenu une véritable religion, on avait brisé quelque chose de beau, on avait profané l’interdit. D’où l’inévitable mauvaise foi, comme dans culpabilité non avouée. D’où ce plaidoyer de l’auteur pour un
« monde nu, sans artifice », à la Réjean Ducharme, « le plus aima­ble des fantômes » qui le hante à jamais.

Citant, en exemple, trois catastrophes toutes dues à l’acti­vité humaine, le déraillement du train de Mégantic, la disparition du vol MH370 de la Malaysia Airlines et l’écrasement de l’Airbus A320 de la Germanwings, McMillan démontre la fragilité et les limites de la puissance et de la perfection tant recherchées, au nom du sacro-saint progrès.

Tout est dans tout, disait un célèbre philosophe chanteur. Il y aurait un lien « indirect, mais réel » entre le déraillement du train de Mégantic et la crise bancaire de 2008. La recherche intensive du profit – « on a besoi­n de 100 % de rendement à l’intérieur d’un an » – n’expliquerait pas tout, mais serait néanmoins à l’origine des nombreuses négligences criminelles.

Plus loin, l’auteur s’inquiète de la disparition du réel, cette
« relation sensible au monde », au profit du virtuel, ce
« cauchemar numérique ». Il compare ces biblio­thèques, qu’on peut maintenant visiter virtuellement, à leur destruction par le feu, l’eau ou les réductions budgétaires, et plaide en faveur du retour à l’hésitation, à l’ambiguïté, à l’incertitude, « bref tout ce qui fait l’huma­nité ».

Mauvais présage: Voulant visionner le documentaire de Serge Cardinal sur l’histoire de la bibliothèque, réali­sé pour célébrer la création de la Grande Bibliothèque nationale du Québec, il n’arrive pas à le trouver sur les étagères de la GB. Pourtant le film est inscrit comme étant disponible. « J’ai quand même consulté les biblio­thécaires : les deux copies sont restées introuvables. » Et de conclure: « Quelle ironie qu’il soit disparu alors qu’il est accessible sur le web! » Serons-nous un jour attrapés comme des mouches sous la grande Toile? se demande McMillan.

Il n’hésite pas à prendre parti dans le débat sur les signes religieux ostentatoires. Après avoir souligné la vacuité du projet de laïcité du Parti québécois, il dénonce l’inco­hérence politique flagrante de Québec solidaire et de son représentant d’alors, Amir Khadir, qu’il accuse de « faire le jeu d’un fondamentalisme religieux intolérant et intolérable, dont on ne peut dire sérieusement qu’il est étranger à toute visée politique ». Plus loin, il conti­nue à vilipender « les libéraux de gauche, ou d’extrême gauche, qui ne dénoncent pas ouvertement le fondamentalisme ». Ceux-ci font preuve « d’un aveuglement inquiétant et d’un manque de loyauté grave envers ceux et celles qui combattent l’intégrisme au nom de la démocratie ». Ces soi-disant progressistes de gauche, clamant tous azimuts leur tolérance et leur ouverture à l’autre et vantant le multiculturalisme, sont, en fait, les alliés objectifs des libéraux économiques, qui prônent les mêmes valeurs de rectitude politique.

On aura compris que cet ouvrage est une compilation de chroniques, opinions et analyses, souvent réécrites, parues dans différentes revues ou dans le quotidien Le Devoir.

Gilles McMillan élève sa voix inquiète et discordante dans le trop harmonieux concert social où trop souvent le monde il est beau, il est gentil. Il faut l’entendre.

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