Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N'écoute même pas, attends seulement. N'attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement; extasié, il se tordra devant toi.
Franz Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance, l'espoir et le vrai chemin.
Ressentir une visite imprévue comme un dérangement, c’est un signe certain de faiblesse, une fuite devant l’imprévu. On se terre dans une vie dite « privée », faute d’avoir les forces nécessaires pour affronter le monde. On fuit le miracle et l’on se réfugie dans une attitude d’autolimitation. C’est une retraite. Car enfin l’existence, c’est avant tout être-avec-les-choses, c’est un dialogue. On n’a pas le droit de s’y dérober. […].
Gustav Janouch, Conversations avec Kafka.
Ne te laisse mettre en prison par aucune affection. Préserve ta
solitude. Le jour, s'il vient jamais, où une véritable affection te
serait donnée, il n'y aurait pas d'opposition entre la solitude
intérieure et l'amitié, au contraire. C'est même à ce signe infaillible
que tu la reconnaîtras. Les autres affections doivent être disciplinées
sévèrement.
Simone Weil, La pesanteur et la grâce.
Le monde est un texte à plusieurs significations, et l'on passe d'une signification à une autre par un travail. Un travail où le corps a toujours part, comme lorsqu'on apprend l'alphabet d'une langue étrangère: cet alphabet doit rentrer dans la main à force de tracer des lettres. En dehors de cela, tout changement dans la manière de penser est illusoire.
S. Weil, "L'intelligence et la grâce", La pesanteur et la grâce.
Justice.
Être continuellement prêt à admettre qu’un autre est autre chose que ce qu’on
lit quand il est là (ou qu’on pense à lui). Ou plutôt lire en lui qu’il est
certainement autre chose, peut-être tout autre chose que ce qu’on y lit.
Chaque être crie en silence pour être lu autrement.
Simone Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce
Pour penser le malheur, il faut le porter dans la chair, enfoncé très avant, comme un clou, et le porter longtemps, afin que la pensée ait le temps de devenir assez forte pour le regarder. Le regarder du dehors, étant parvenue à sortir de son corps, et même, en un sens, de l’âme. Le corps et l’âme restent non seulement transpercés, mais cloués sur un lieu fixe. Que le malheur impose ou non l’immobilité, il y a toujours immobilité forcée en ce sens qu’une partie de l’âme est toujours, continuellement, inséparablement collée à la douleur. Grâce à cette immobilité, la graine infinitésimale d’amour divin jetée dans l’âme peut à loisir grandir et porter ses fruits dans l’attente, en hupomenê, selon l’expression divinement belle de l’Évangile. On traduit in patienta, mais hypomenein, c’est tout autre chose. C’est rester sur place, immobile, dans l’attente sans être ébranlé ni déplacé par aucun choc du dehors.
Pour
nommer le malheur du monde de notre époque, suffit-il d'interroger sa
propre chair? Cela dépend toujours de quelle nourriture elle est faite.
Quelle nourriture pour l'âme dans un monde de la consolation, de
l'agitation et de la contrefaçon?
Immobilité, solitude et patience.
Il y avait beaucoup de liberté de pensée au cours des dernières années, mais il n'y avait pas de pensée. C'est à peu près la situation de l'enfant qui, n'ayant pas de viande, demande du sel pour la saler.
Simone Weil, "Les besoins de l'âme", L'enracinement.
Qui peut se flatter qu'il lira juste?
S.W.
Causes des mauvaises lectures: l'opinion publique, les passions.
S. Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce.
Simone Weil, La pesanteur et la grâce.
Le monde est un texte à plusieurs significations, et l'on passe d'une signification à une autre par un travail. Un travail où le corps a toujours part, comme lorsqu'on apprend l'alphabet d'une langue étrangère: cet alphabet doit rentrer dans la main à force de tracer des lettres. En dehors de cela, tout changement dans la manière de penser est illusoire.
S. Weil, "L'intelligence et la grâce", La pesanteur et la grâce.
Chaque être crie en silence pour être lu autrement.
Simone Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce
Aux Thermes de Caracalla, Rome, 2016 |
Pour penser le malheur, il faut le porter dans la chair, enfoncé très avant, comme un clou, et le porter longtemps, afin que la pensée ait le temps de devenir assez forte pour le regarder. Le regarder du dehors, étant parvenue à sortir de son corps, et même, en un sens, de l’âme. Le corps et l’âme restent non seulement transpercés, mais cloués sur un lieu fixe. Que le malheur impose ou non l’immobilité, il y a toujours immobilité forcée en ce sens qu’une partie de l’âme est toujours, continuellement, inséparablement collée à la douleur. Grâce à cette immobilité, la graine infinitésimale d’amour divin jetée dans l’âme peut à loisir grandir et porter ses fruits dans l’attente, en hupomenê, selon l’expression divinement belle de l’Évangile. On traduit in patienta, mais hypomenein, c’est tout autre chose. C’est rester sur place, immobile, dans l’attente sans être ébranlé ni déplacé par aucun choc du dehors.
Heureux ceux pour qui le malheur
entré dans la chair est le malheur du monde lui-même à leur époque. Ceux-là ont
la possibilité et la fonction de connaître dans sa vérité, de contempler dans
sa réalité le malheur du monde. C’est là la fonction rédemptrice elle-même. Il
y a vingt siècles, dans l’Empire romain, le malheur de l’époque était
l’esclavage, dont la crucifixion était le terme extrême.
Simone Weil, Lettre à Joë Bousquet, 12 mai 1942
Immobilité, solitude et patience.
Il y avait beaucoup de liberté de pensée au cours des dernières années, mais il n'y avait pas de pensée. C'est à peu près la situation de l'enfant qui, n'ayant pas de viande, demande du sel pour la saler.
Simone Weil, "Les besoins de l'âme", L'enracinement.
L’époque
hypermoderne est dromomaniaque, entendez : éperdue d’automatisme
ambulatoire. Le mouvement donne le sentiment de vivre à fond, il permet de consommer
le monde (c’est l’auteur qui souligne). Sous couvert de bonnes intentions
liées à des dépenses énergétiques sans précédent et à la découverte de la
diversité du monde, tant humaine qu’écologique, la mobilité est devenue un
modèle comportementale. Celui-ci colonise massivement l’imaginaire social et
s’impose à nos loisirs et nos vies professionnelles.
Rodolphe
Christin, L’usure du monde. Critique de la raison touristique, 2014.Qui peut se flatter qu'il lira juste?
S.W.
Aéroport de Montréal, YUL pour les intimes. |
S. Weil, "Lectures", La pesanteur et la grâce.
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