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dimanche 18 octobre 2020

Kamel Daoud: "il faut démanteler l'islamisme"


                                                      Leçon de démocratie

 

 

Comme les précédents, les attentats de Barcelone et de Cambrils m’éloignent d’une histoire où, une fois les bougies éteintes et les petits cœurs rangés, tout le monde fait comme si rien n’avait eu lieu ‒ et comment faire autrement? ‒ et comme si ces tueurs n’étaient pas une conséquence désastreuse de ce que nous sommes, de ce que nous vivons.  (Philippe Lançon, Le lambeau, 2018, p. 191)

 

... si une chose existe quelque part, elle existera n'importe où.

    Czeslaw Milosz, La pensée captive, cité par Simon Leys.

 


 

À l'émission France culture, Kamel Daoud réagit à la décapitation de Samuel Paty, un enseignant d'histoire et de géographie d'un lycée de la banlieue parisienne par un djihadiste. Cliquez ici pour écouter l'émission. 

Ce crime ignoble est en lien avec les fameuses caricatures publiées par Charlie Hebdo en 2015 et qui ont entraîné le massacre d'une partie importante de l'équipe de rédaction. Ce massacre avait suscité une compagne de protestation à travers le monde, mais souvent accompagnée de "Je suis Charlie, mais..."

Mais quoi? Mais ils sont allés trop loin? Il leur est arrivé ce qu'ils méritaient?  Des journalistes, dont Jean-François Nadeau du Devoir, ont même laissé entendre que caricaturer les "barbus" était une bonne façon de renflouer les coffres de la revue...Voici ce que j'écrivais en 2015 dans ma page Web intitulée La contamination des mots

"Au Québec, le chroniqueur du Devoir Jean-François Nadeau réussit quant à lui le tour de force de célébrer le courage et le talent des caricaturistes de Charlie Hebdo tout en mettant en lumière ce qui aurait été une tendance lourde à l'islamophobie de la revue. Plus grave encore, cette islamophobie aurait été motivée par des soucis financiers, le besoin d'augmenter les revenus:

Ces dernières années, il faut savoir que les ventes de Charlie remontaient au-dessus de la ligne de flottaison dès lors que ce journal satirique se lançait dans la critique rageuse des fous de dieu, en particulier ceux de l'islam. Une certaine islamophobie de service s'était en conséquence emparée du journal qui produisait désormais à la chaîne des gags de plus en plus lourds en cette matière.
La dénonciation des barbus radicaux prit une telle place dans ces pages que cela donnait parfois l'impression d'un fâcheux radotage, même placé sous couvert de l'humour ravageur et irrévérencieux. Ce pilonnage obsessionnel, livré souvent au nom d'acrobaties intellectuelles douteuses devenait franchement embarrassant d'imbécillité. Non, Charlie n'était pas qu'amour et poésie. Du coup, on oubliait quelquefois le talent immense et l'esprit unique de plusieurs collaborateurs affairés pourtant à traiter avec doigté d'autres sujets que celui-là.
(Le Devoir, 8 janvier 2015)


Pas qu’amour et poésie Charlie, on s’en doute un peu, bien que l’amour et la poésie s’expriment d’abord en des termes qui ne sont pas les canons du poétique et du beau. Lecteur d’Arthur Cravan, M. Nadeau le sait bien: « Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses », disait Cravan. Mais l’accusation d'opportunisme, même sur le mode de la rigueur journalistique, de la liberté d’expression, me semble infiniment plus grave que celle du dérapage éditorial.

Alors comment concilier opportunisme, imbécillité, gags islamophobes à la chaîne et immense talent, intelligence, courage et… amitié? Car M. Nadeau affirme avoir connu des moments d'amitié inoubliables avec Charb. « Inoubliables » relevant ici de la sphère privée. Et cette éternité n'appartient plus qu'au vivant de l'auteur, puisque Charb a rencontré des balles signées Allah. Or ces balles, comme le rappelle sa compagne en entrevue, lui étaient intimement adressées, à cause de ses dessins contre les islamistes intégristes. Ces balles ne sont pas un fantasme, une illusion.

M. Nadeau a également évoqué son amitié sur les ondes de Radio-Canada pour rejeter du même souffle, et fermement, le human interest qu’une telle déclaration à la TV, et dans de telles circonstances, ne pouvait que susciter. Il ne fait pas dans la flagornerie, Jean-François Nadeau, mais on peut poser les questions que ne soulève pas son touchant témoignage:

Se pourrait-il, par exemple, que la rédaction de la revue ait eu d'autres motivations que la survie de la revue pour multiplier les gags?
 

Se pourrait-il qu’elle réagissait, par les dessins, aux menaces de mort bien réelles que les journalistes recevaient?
 

Se pourrait-il que les journalistes de Charlie Hebdo se fiaient à leur immense talent, comme le répète Nadeau, à leur capacité à décoder la réalité?
 

Se pourrait-il que leur humour féroce ne relevait pas de l’islamophobie, mais plutôt d’un sens de la réalité et du courage, que n’arrêtait pas la rectitude politique?
 

Se pourrait-il enfin que Jean-François Nadeau soit quelque peu empêtré dans ses opinions à ce sujet, par crainte de paraître islamophobe? L’amitié peut être une chose difficile à gérer, de même que la distinction entre dénonciation de l’extrémisme et islamophobie. On connait bien ce phénomène au Québec. Surtout chez les nationalistes repentis, qui ont toujours peur de paraître xénophobes, racistes, repliés sur eux-mêmes. C’est d’ailleurs une crainte légitime, mais qui peut être extrêmement insidieuse.

Bref, on sort perplexe de la chronique de Jean-François Nadeau, avec l'impression qu’il jongle avec un fer brûlant, qu'il dit une chose et son contraire. Cette hésitation, cette ambivalence plutôt, nous ramène évidemment au fameux débat sur la charte de la laïcité au Québec, où la question de l'islamophobie a joué à plein, enchevêtrée maladroitement au discours nationaliste débile du Parti québécois.


Dimanche, 11 janvier 2015, jour de grand rassemblement place de la République à Paris"

 Et Jean-François Nadeau est loin d'être le seul intellectuel à tergiverser sur cette question.  Le philosophe Pierre Mouterde s'était lui-même fendu d'un "Oui mais..." dans une lettre adressée au Devoir

Il faut dire qu'à l'époque, il était éminence grise de Québec solidaire, dont les positions identitaires sont pour le moins douteuses, positions permettant à la formation politique énormément de complaisance avec la mouvance islamiste et multiculturaliste en général.  Le plus comique, c'est que Mouterde a publié en 2019 un essai sur la rectitude politique. Je précise : un livre politiquement correct sur la rectitude politique.

 

C'est bien cette mentalité que dénonce notamment Kamel Daoud à France culture, mentalité qui est également à la source de la censure du langage qui sévit dans les universités et les médias. Cela va bien au-delà du refus de prononcer le mot "nègre". Le "N-Word" me fait penser aux "mauvais mots" que mon fils, quand il était à la garderie, apprenait avec ses petits amis à ne pas dire. Encore doit-on préciser que la garderie faisait son travail en montrant aux enfants qu'on ne peut pas dire tout ce qui nous passe par la tête, que l'usage de la parole a aussi des limites.  Nos sociétés sont exposées aujourd'hui à un peu plus d'infantilisation et d'innocence en interdisant, ou en imposant, un certain usage du langage pour satisfaire aux exigences de groupes d'intérêts.

Après la néoféminisation du langage, qui n'améliore en rien la situation des femmes, voici la racialisation du langage qui n'améliore en rien la situation des minorités. Au contraire, elle les enferme dans leur origine ethnique, ce qui est le fondement même du racisme. Et c'est ne rien dire des conséquences funestes qu'une telle censure exerce sur le langage, donc sur la pensée et l'honnêteté intellectuelle. Cette censure relève de l'imposture et de l'hypocrisie. Qui au juste revendique cette censure, et au nom de quoi?

À suivre...



 

jeudi 10 septembre 2020

Les Derniers

 par Bernard Émond, cinéaste et écrivain

 

Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil.

– Charles Péguy, Notre jeunesse.

Ils éprouvaient ainsi la souffrance profonde de tous les prisonniers et de tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien.
– Albert Camus,
La Peste

 

 Article paru dans la revue L'action nationale. Cliquez ici pour lire l'article dans la revue.

 

 

Faisons comme si la parole des intellectuels avait encore du poids dans le Québec contemporain, et par parole, je n’entends pas babillage médiatique, intervention de quatre-vingt-dix secondes sur une chaîne d’information continue, entretien festif dans une émission littéraire, blogue plébiscité par quelques milliers de clics. Faisons comme si, et posons la question. Que doit-on attendre des intellectuels dans le combat politique pour l’indépendance ?

 

Deux choses, il me semble : d’abord, nous rappeler pourquoi nous devrions faire l’indépendance et ensuite nous dire pourquoi, sans un improbable sursaut de volonté collective, nous ne la ferons pas.

 

Nous devrions faire l’indépendance, parce que sans elle nous sommes morts comme peuple. Dans trente, dans cinquante, dans cent ans il y aura bien, sur le territoire de cette province, des gens qu’on continuera à appeler Québécois, mais ils seront québécois comme nos voisins sont ontariens. Une collection d’individus habitant le même espace ne fait pas un peuple.

À quoi peut bien servir l’indépendance politique si elle n’est pas l’indépendance d’un peuple ? À quoi peut bien servir l’indépendance, sinon à garantir la pérennité d’un peuple ayant en commun une histoire, une culture, des coutumes, des institutions et une communauté d’origine ou d’attachement (1) ? À quoi peut bien servir l’indépendance si ce n’est à garantir les conditions d’existence d’une mémoire commune qui puisse fonder l’action ?

Ne me parlez pas d’une indépendance qui ne serait rien d’autre qu’une version francophone du multiculturalisme canadien. Ne me parlez pas d’une indépendance vidée de son poids de chair, d’une indépendance purement formelle, purement juridique, fondée par exemple sur les abstractions d’une charte des droits et du français langue commune. Et d’abord, ça ne marchera pas. On aura beau imposer le français avec toutes les lois du monde, on n’en fera pas autre chose qu’une langue véhiculaire, pauvre, comme celle qu’on utilise à Montréal quand il n’y a pas moyen de faire autrement. Il n’y a pas de langue sans un fonds partagé d’histoire et de culture, ou alors c’est une langue dans laquelle la poésie est impossible. De toute manière, dans une logique de droits individuels, avec les francophones maintenant minoritaires sur l’île de Montréal, la loi 101 n’a aucune chance de survivre à long terme, et son abolition ne fera au fond qu’accélérer le mouvement de dissolution qui nous entraîne déjà.

L’indépendance ne peut être que celle d’un peuple, et un peuple n’est pas une abstraction juridique. Elle ne peut être faite que par un peuple de chair, attaché à une histoire et une culture communes, pas par une collection d’individus qui n’ont en commun que le rêve de l’extension illimitée de leurs droits et de l’assouvissement immédiat de leurs désirs de consommation. Mais j’ai bien peur que c’est ce que nous soyons en train de devenir. J’ai bien peur que notre peuple soit en train de mourir. Et, malgré tout, nous refusons le sursaut politique qui nous permettrait de survivre. Pourquoi ?

Aux intellectuels qui auront la tâche d’expliquer notre démission, il faut rappeler cette phrase de Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Une phrase qui rappelle la vieille boutade : « les marxistes ont plus de facilité à expliquer pourquoi les ouvriers devraient faire la révolution que pourquoi ils ne la font pas ».

 

 


 

 

Jacques Parizeau, le soir du 30 octobre 1995, avait nommé, avec raison, l’argent et des votes ethniques comme causes de la défaite référendaire. Le tollé qu’avait suscité son intervention annonçait des beaux jours pour la rectitude politique. On l’avait accusé, justement, de voir ce qu’il voyait, et encore plus de le dire. Mais il y a une chose qu’il n’a pas dite, c’est que nous, Québécois francophones, sommes les principaux responsables de la défaite : nous sommes près de 40 % à avoir voté non. Faut-il rappeler les 99,5 % de oui pour l’indépendance norvégienne en 1918, ou les 77 % de oui en Estonie en 1988, dans un petit pays qui compte 30 % de Russes ?

Et il y a eu l’après-référendum. Le combat, qui aurait alors dû continuer avec vigueur, a tourné en eau de boudin non seulement à cause des atermoiements, de la faiblesse et de la vanité de nos dirigeants politiques, mais aussi, surtout, à cause de notre propre veulerie. La nôtre. Et maintenant, 25 ans plus tard, même à l’extérieur de Montréal, où les Québécois de souche et apparentés sont pourtant l’écrasante majorité, l’idée d’indépendance est minoritaire, et en recul constant.

Au fond, on s’en fout, tant qu’on a l’assurance-maladie et qu’on peut passer nos six mois moins un jour en Floride sans perdre nos droits. Quant aux devoirs, on n’en parle pas. On s’en balance comme on s’est balancé de l’éducation de nos enfants, élevés dans l’admiration inconditionnelle de leurs parents et le culte de l’estime de soi. Élevés dans l’ignorance de leur histoire et de leur langue maternelle, obnubilés par leurs écrans et par eux-mêmes, confortés dans leur mépris du passé et dans la contemplation de leur propre vertu, de leur propre ouverture, de leur propre égalitarisme. Et nous, parents, grands-parents ? Nous sommes comme eux. Absolument comme eux. Nous avons laissé faire. Nous les avons faits. Nous n’avons rien transmis d’autre qu’une idéologie Passe-Partout, gnangnan, mollassonne. Nous avons refusé toute forme d’autorité, au-dessus et au-dessous de nous, et surtout pas celle du passé. Nous avons beau faire mine de déplorer le fossé qui nous sépare des jeunes générations, ce fossé nous l’avons laissé s’ouvrir, quand nous ne l’avons pas creusé nous-mêmes, aveuglés que nous étions par l’idée de notre liberté. Nous avons voulu comprendre nos enfants, alors qu’il aurait fallu les éduquer, et d’abord nous éduquer nous-mêmes.

En 1995, Monsieur Parizeau dénonçait l’argent, et par là il fallait bien entendu comprendre les manœuvres frauduleuses du gouvernement fédéral et de ses dépendances, ainsi que l’appui actif des puissants et des maîtres avec le soutien presque sans faille de leurs entreprises et de leurs médias. Cela est entendu, vérifié, documenté. Et cela n’a pas changé. Mais derrière l’argent, il y a toute la puissance culturelle de l’anglosphère, tout ce que les Américains nomment le soft power, et que nous avons gobé hook line and sinker, comme ils disent, au point où nous nous glorifions de cette « culture québécoise » aseptique et mondialisée qui marche si bien à l’étranger, Céline Dion, le Cirque du Soleil, Denis Villeneuve. Nos héros, nos idoles. Aujourd’hui, il n’y a pas que les usines qu’on délocalise, il y a aussi la culture. Et nous en redemandons, délocalisés nous-mêmes, assis sur nos chaises de jardin devant un coucher de soleil sur le golfe du Mexique ou sur le balcon d’un Airbnb à Barcelone ou à Bangkok.

Le principal obstacle à l’indépendance, c’est nous. Notre veulerie, notre indifférence. Mais si jamais nous trouvions l’énergie d’un sursaut, nous frapperions un mur. Le mur de la métropole. Le mur de l’immigration et le mur anglo-québécois, qui sont le même mur. Près d’un million de nouveaux arrivants en trente ans, presque exclusivement concentrés dans la région montréalaise. Un million d’arrivants qui ont voulu venir en Amérique, ou à la rigueur au Canada, mais pas, sauf exception, au Québec(2). Et qui, dans leur grande majorité, n’ont cure de la survie de ce petit peuple qui les accueille, et de sa culture. On ne peut pas les blâmer, ainsi va le monde contemporain. Il fut un temps où l’intégration faisait son travail sur deux, trois générations. Mais simplement évoquer ce mot vous fait passer aujourd’hui pour un fasciste. Et puis, de toute manière, pour que l’intégration fonctionne, il faut une majorité, et de majorité, il n’y en a plus en région montréalaise. Il n’y a que des minorités, plus de peuple. Et ne me parlez pas de votre ami mexicain qui aime Miron ou des trois doctorants issus des minorités, qui se passionnent pour la littérature québécoise dans un séminaire à McGill. Ils sont bien sympathiques, nous sommes flattés, nous les aimons beaucoup, mais parlons chiffres. Regardons les statistiques en face. Démographiquement, idéologiquement, politiquement, Montréal ne fait déjà plus partie du Québec. Montréal est devenue une ville canadienne où on a simplement un peu plus de chances de se faire comprendre en français qu’ailleurs. Et compte tenu du poids démographique de la métropole, l’indépendance du Québec est aujourd’hui hors de portée, et probablement pour toujours.

À ce catalogue des obstacles et empêchements, il faut ajouter la guérilla intellectuelle des libéraux-libertaires et autres sans-frontiéristes, qui ont colonisé les universités et dont l’influence dans les médias dépasse très largement le nombre. Plus possible d’échapper aujourd’hui à l’orthodoxie multiculturelle, au culte de la diversité et à la religion de l’ouverture. Impossible de voir aujourd’hui ce qui est et surtout de le dire : que nous sommes de plus en plus seuls et que nous sommes en train de mourir, que la situation démographique prend de plus en plus l’aspect d’une fatalité, que la langue anglaise progresse inexorablement, et que la culture de masse issue de l’anglosphère a colonisé tous les esprits, que la langue et la culture française reculent constamment, que nous avons abandonné jusqu’à l’idée d’une culture commune, que des pans entiers de notre passé sont en train de s’effacer de la mémoire collective.

Alors, que doit-on demander aux intellectuels ?

Qu’ils voient ce qu’ils voient et qu’ils le disent : qu’ils n’aient pas peur d’affronter les censeurs de l’ultragauche et le jugement du New York Times. Et qu’ils ne craignent pas de nous désespérer. Peut-être devons-nous constamment nous faire rappeler notre mortalité, la disparition probable de notre petite et fragile civilisation, pour pouvoir trouver l’énergie d’une réaction.

Qu’ils attaquent. Qu’ils montrent à quel point la gauche multiculturelle est l’alliée des néolibéraux, à quel point l’idée de bien commun a été reléguée aux oubliettes par ceux-là mêmes qui se réclamaient d’elle, à quel point l’idée de justice sociale est menacée par la fragmentation diversitaire et le culte de la plus petite différence, comment une sorte de racisme à l’envers est en train de se développer, comment l’idée de laïcité est essentielle à une vie vraiment commune, et comment l’universalisme est menacé par un relativisme culturel imbécile et conquérant.

Qu’ils attaquent : nous n’avons pas à nous excuser des injustices que nos ancêtres auraient commises à des gens qui ne les ont pas subies. Et certainement pas à des petits-bourgeois anglophones qui ne quittent le ghetto McGill que pour venir chahuter une représentation théâtrale.

Qu’ils attaquent encore. Qu’ils s’attaquent à la dégradation de la télévision publique, de la presse et des médias de masse, qui sont devenus (à quelques exceptions près, il est vrai) une vaste entreprise de décérébration collective. Qu’ils s’attaquent à notre relâchement culturel, à la pauvreté de notre langue, à notre égoïsme, à nos démissions. Qu’ils attaquent avec l’acharnement de Pierre Falardeau ou le raffinement de Pierre Vadeboncoeur, mais qu’ils attaquent.

Que doit-on demander aux intellectuels ? Au fond, peut-être, qu’ils nous préparent à mourir, à mourir dignement, en luttant, en essayant de sauver ce qui peut encore l’être, et pas en attendant l’euthanasie parce que nous sommes fatigués, si fatigués. Qu’ils nous préparent à mourir en ne cédant plus un pouce, comme des insurgés sur une barricade. Car nous n’avons plus un pouce à céder : une partie de l’essentiel est déjà perdue.

Mais peut-être les intellectuels peuvent-ils aussi nous rappeler que l’histoire n’est pas écrite et que, malgré notre fatigue et nos démissions, nous pouvons encore écrire la nôtre.

 


1‒ Le soupçon de fermeture et d’intolérance qui pèse sur nous est-il si grand qu’il faille vraiment rappeler qu’il y a des McComber, des Pallascio, des Nguyen, des Diouf qui sont aussi Québécois que Zola était Français ?

2‒  On estime que le tiers des nouveaux arrivants quitte le Québec.

* Cinéaste et essayiste.

 Cliquez ici pour lire l'entretien que j'ai effectué en 2007 avec le cinéaste pour Le journal des Alternatives à l'occasion de la sortie de son film Contre toute espérance.

 

mardi 30 juin 2020

James Baldwin et le mauvais rêve américain*

La vérité qui libère les Noirs libérera aussi les Blancs, mais ceux-ci ont du mal à l’accepter (1)
James Baldwin

Cliquez ici pour lire le texte dans L'Encyclopédie de l'Agora

Avant de voir le documentaire que lui consacre Raoul Peck, I’m not your negro (2016), je n’avais jamais entendu parler ni des livres ni de l’engagement de James Baldwin pour les droits civiques. Engagement périlleux, parce qu’il fut le compagnon de route de Medgar Evers, de Malcolm X et de Martin Luther King. Pourtant leur aîné, il est le seul des quatre militants à ne pas avoir été assassiné, alors que son discours antiraciste, ancré dans une critique très sévère de la société américaine, était loin de faire l’unanimité, tant du côté des extrémistes (suprémacistes blancs et séparatistes noirs) que de la gauche libérale oucontre-culturelle dite progressiste
C’est que Baldwin, parce qu’il était écrivain et libre penseur, a très vite su décoder les «rackets» qui se présentaient au garçon brillant et en colère qu’il était; colère ravivée quotidiennement par une pauvreté extrême, mais surtout par le sentiment de ne pas être considérés, lui et les siens, comme des humains. Une humiliation inscrite par quatre cents ans d’histoire dans l’institution, l’imaginaire et le mythe de la toute-puissance blanche étatsunienne. Ce que veut dire l’esclavage: dépossession, soumission, lynchage, torture, meurtre. L’histoire insiste moins sur le fait que l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle ajoute l’hypocrisie à toutes ces horreurs. La déshumanisation sera dorénavant légitimée non seulement par la foi chrétienne et répandue par ses missionnaires, mais également par la science et ses apôtres du progrès affublés de chemise blanche. Or ce refus d’humanité ne peut pas être confondu avec ce que le pouvoir médiatique et politique appelle fallacieusement de nos jours le racisme, bien qu’il en soit la source. Cette confusion est terrible, parce qu’elle banalise ce qu’est le racisme réel et qu’elle empêche de trouver des réponses aux véritables enjeux sociaux qu’elle dissimule dans nos sociétés aujourd’hui. Cet aveuglement ne peut conduire qu’à l’aggravation de la violence ou au cynisme, à une montée aux extrêmes qu’on observe aujourd’hui dans les discours relayés par les médias. Au final, cette confusion produit le racisme, l’exclusion, l’intolérance, le crime, la guerre civile. C’est exactement la leçon de James Baldwin, qui n’a cessé, dans ses écrits et dans son engagement, d’alerter les consciences contre ce qu’il appelle l’innocence, le romantisme et l’irresponsabilité.
Le mot de «racket», c’est Baldwin lui-même qui l’utilise dans un essai qui remonte au début des années 1960, La prochaine fois, le feu. Le terme désigne couramment la criminalité urbaine ordinaire (drogue, prostitution, jeu, marché noir), mais Baldwin en prolonge le sens du côté de l’endoctrinement politico-religieux, chrétien et musulman, du dogmatisme cryptomarxiste ou de l’engouement pour les modes contre-culturelles telle la fausse révolution sexuelle. Le meilleur exemple de cette ambiguïté tient dans ce que l’écrivain rapporte au sujet de comportements durant la période du maccarthysme. Les théories de Wilhelm Reich sur la révolution sexuelle sont alors à la mode, tout comme la psychanalyse et le LSD. Baldwin raconte qu’il arrivait que des psys convainquent leur patient de dénoncer leurs amis communistes afin de s’émanciper, de gagner en croissance personnelle. Il remarque que certains d’entre eux, pour s’absoudre, s’engagèrent plus tard dans le mouvement des droits civiques(2)… On ne saurait mieux décrire les conditions historiques de la rectitude morale et politique qui s’apparente à de la mauvaise ou à de la fausse conscience. Ce sens critique aigu qu’avait Baldwin des motivations idéologiques, appliqué à ceux qui s’autoproclament progressistes, échappe hélas au film de Raoul Peck. Il confère pourtant toute sa radicalité aux analyses de l’écrivain, à sa perspicacité et à son honnêteté intellectuelle.
Pour se faire une idée de la sensibilité intellectuelle et littéraire de Baldwin, on doit savoir qu’il fut pasteur à un âge où son père adoptif, lui-même pasteur, pouvait encore le forcer à porter des culottes courtes. En dépit de son très jeune âge, ses sermons étaient si inspirés que les fidèles d’Harlem accouraient pour les entendre. Vingt ans plus tard, au début des années 1960, il avait abandonné le pastorat et la religion (du moins l’Église) depuis longtemps. Dans la jeune trentaine, il avait déjà connu un long exil en France et son talent littéraire était largement reconnu grâce à la publication de romans autobiographiques et à son engagement pour la défense des droits civiques. Baldwin ne prêchait plus la parole de Dieu dans les églises, mais portait très haut la parole de son peuple. Dans son essai La prochaine fois, le feu, il revient sur son adolescence afin de décrire son entrée dans l’Église chrétienne d’Harlem. Le récit est palpitant et riche en enseignement. Il est remarquable qu’il évoque cette période avec les termes de la séduction criminelle, du racket. Nous ne sommes pas très loin des faux-monnayeurs d’André Gide.
Un jour de la fin des années 1930, il fut présenté à un pasteur, une femme qu’il décrit comme «frappante de beauté et de dignité, dans les traits de laquelle se mêlaient l’Afrique, l’Europe et l’Amérique de l’Indien peau-rouge». Comme cette femme a beaucoup de prestige dans l’univers religieux de Harlem, elle fait une très forte impression sur le jeune Baldwin. En le voyant, elle s’exclame: «À qui appartient ce petit garçon?» Baldwin commente:
«Or cette expression, chose incroyable, était précisément celle qu’employaient les souteneurs et les racketeers [sic] de l’Avenue pour me proposer, avec autant de convoitise que d’ironie, de ‟passer le temps” avec eux […] À Harlem, on trouve toujours preneur. J’eus la chance (en fut-ce une?) de me retrouver dans le ‟racket” religieux au lieu d’un autre et de succomber à une séduction spirituelle bien avant de connaître aucune révélation charnelle. Car quand le pasteur me demanda avec son merveilleux sourire: ‟À qui est ce petit garçon?” mon cœur répondit aussitôt: ‟Mais à vous, bien sûr”(3)
Ce sentiment d’être la propriété de quelqu’un ravive tout le passé d’esclavage des ancêtres de Baldwin. Or cet esclavage peut se présenter paradoxalement sous les traits les plus charmants, les plus insidieux.
Un peu plus loin dans le même essai, Baldwin commente, exactement dans les mêmes termes, sa rencontre avec Elijah Muhammad, le grand leader de la Nation d’islam aux États-Unis. Homme plein de charme et de charisme, il invite Baldwin à se joindre à l’organisation de Chicago en qui il voit déjà un James X au côté de Malcolm. Baldwin écrit: «Et puis il se tourna vers moi avec son merveilleux sourire et me ramena près de vingt-quatre ans en arrière, au moment où cette femme m’avait demandé: ‟À qui est ce petit garçon”(4).» Cette fois-ci, il ne cédera pas à la séduction. Certes, Baldwin milite contre le racisme, mais il n’est pas favorable au séparatisme prôné par les Black Panthers et la Nation d’islam. Il décline donc sans hésiter la proposition d’Elijah. Quand celui-ci lui demande ce qu’il est devenu depuis qu’il a quitté l’Église chrétienne, Baldwin répond en substance qu’il n’est associé à aucun mouvement, qu’il est écrivain et qu’il veut rester libre. Jamais peut-être la vocation d’écrivain n’aura raisonné à un tel point comme l’expression de la liberté dans la vie de James Baldwin.
Outre cette affaire de séduction et de racket, la responsabilité que Baldwin attribue aux progressistes blancs dans le succès de la Nation d’islam et des Black Panthers me semble significative, tellement elle fait figure de leçon politique, de mise en garde contre l’extrémisme:
«Que ce soit dans des discussions publiques ou privées, tous les efforts que j’ai pu faire pour expliquer les origines du mouvement musulman et les raisons de son succès ont été accueillis avec une indifférence révélatrice du peu de rapport qui existe entre les positions apparentes des progressistes et leurs réactions profondes, entre, même, ce qu’ils savent et ce qu’ils sont, révélatrice finalement de leur compétence à parler sur et en faveur du Noir en tant que symbole ou victime, mais de leur incapacité à voir un homme en lui (5)
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le discours victimaire porte son lot de bénéfice symbolique sans rien changer à la réalité des victimes.
James Baldwin était donc ce genre d’écrivain de la plus haute exigence littéraire, pouvant révéler quelque chose du monde dans un langage qui ne soit pas univoque ou dogmatique, car au carrefour de la littérature, du religieux et de l’engagement politique. À la limite de la folie sans doute, comme il l’évoque souvent lui-même, de la solitude, du doute; du risque en tout cas de vivre passionnément, de donner et d’aimer, de surmonter la haine même de ce qui peut vous tuer tous les jours, parce que vous êtes Noir, homosexuel, Juif, Irlandais, Amérindien, femme, pauvre: «L’objet de la haine, écrit-il dans «Ici dragons»,   n’est jamais, hélas, situé commodément quelque part à l’extérieur, mais se trouve assis sur vos genoux, bouillonnant dans vos tripes et dictant au cœur des battements. Ignorer ce fait, c’est courir le risque de devenir une imitation – et donc une continuation – des principes qu’on s’imagine mépriser(6).»
C’est la grandeur de James Baldwin de n’être pas devenu «une continuation des principes» du suprémacisme blanc américain, ou son imitation inversée. Il a su démonter les mécanismes sous-jacents à ce racisme fondé sur le déracinement généralisé de la population américaine. Dans un dialogue avec l’anthropologue Margaret Mead, publié sous le titre Le racisme en question, Baldwin écrit: «Nous sommes tous des exilés». Ce à quoi Mead répond: «Oui, nous sommes tous en exil, personne n’a encore trouvé sa place sur terre(7).» C’est le mythe d’infaillibilité de l’Amérique, de sa mélodie du bonheur, qui se trouve ici dévoilé: ce mythe blanc dissimule, selon Baldwin, une peur effroyable de vivre, une apathie émotionnelle et morale monstrueuse, qui s’incarne dans l’obsession du pouvoir, mais aussi dans l’idéal aberrant de pureté et d’innocence qui caractérise la société américaine, idéal qui produit un sentimentalisme exacerbé tout en entretenant une ignorance sur soi autant que sur sa propre société. James Baldwin ne cessera pourtant jamais de se revendiquer américain, persuadé que la richesse éventuelle de ce pays passe par la mixité, la collaboration, la reconnaissance réciproque par-delà la couleur de la peau. Il ne cherchait pas à désigner des coupables à l’histoire de l’esclavage, mais des individus et des institutions responsables dans la société qui est la nôtre: «Si nous sommes ce que les circonstances font de nous, nous sommes, aussi, ce que nous faisons de nos circonstances. C’est là peut-être la clé de l’histoire, puisque nous sommes l’histoire (8)…»
Cette conception de l’histoire avancée par Baldwin trouve un écho dans la conclusion au documentaire Les routes de l’esclavage. L’historien Vincent Brown, de l’Université Harvard, affirme en effet qu’
«[on] aura vraiment progressé le jour où on reconnaîtra tous l’esclavage comme faisant partie de notre histoire commune. L’histoire de l’esclavage n’est pas l’histoire de Noirs ni juste celle de la colonisation blanche. L’histoire de l’inégalité des hommes est notre héritage à tous, que nous devons tous combattre. Les Blancs ne doivent pas se considérer uniquement comme des descendants des propriétaires d’esclaves, mais aussi comme des descendants d’esclaves, les Noirs comme des descendants de propriétaires d’esclaves. On doit considérer qu’on a hérité des structures fondamentales de ces sociétés. Ce qu’on a fait de ces inégalités dépend entièrement de nous. C’est ce qui peut vraiment nous aider à aller de l’avant en tant que société (9)
On pourrait faire tenir toute la pensée sensible de James Baldwin dans un passage magnifique de La prochaine fois, le feu, où il tente de définir l’amour, le souffle spirituel même de sa pensée: 
«J’emploie le mot amour ici non pas seulement au sens personnel mais dans celui d’une manière d’être, ou d’un état de grâce, non pas dans l’infantile sens américain d’être rendu heureux mais dans l’austère sens universel de quête, d’audace, de progrès. C’est donc là ma thèse que les tensions raciales qui menacent aujourd’hui les Américains ne peuvent s’expliquer par une profonde antipathie – en fait bien au contraire – et que les couleurs de peau n’y jouent qu’un rôle symbolique. Ces tensions ont leurs racines dans ces mêmes profondeurs d’où jaillissent l’amour, ou le crime. Les craintes ou les aspirations personnelles de l’homme blanc – secrètes pour lui et inexplicables – il les projette sur le Noir. Il ne saurait se libérer du pouvoir tyrannique que le Noir exerce sur lui qu’en consentant pratiquement à être noir lui-même, à devenir partie de cette nation dansante et souffrante qu’aujourd’hui il observe pensivement des hauteurs de sa puissance solitaire et que, armé de chèques de voyage spirituels, il visite furtivement une fois la nuit tombée (10)
L’œuvre de James Baldwin est à rapprocher de celle de Pier Paolo Pasolini par la rage, l’amour et l’acuité du regard qu’elle porte sur notre société, qui croit échapper à sa douleur en s’enfonçant dans l’hédonisme de consommation, qui tend à détruire ce qu’il y a de meilleur dans la culture, de vivant. Cette œuvre devrait être rendue beaucoup plus accessible qu’elle ne l’est. Je pense notamment à l’essai La prochaine fois, le feu, mais aussi au dialogue avec la grande anthropologue américaine, Margaret Mead, Le racisme en question. Ce livre devrait être réédité d’urgence, tellement le sujet abordé demeure brûlant d’actualité. On y découvre que les vérités de chacun, sans être universelles, peuvent au moins être discutées, même dans le conflit et le malentendu. Paradoxalement, c’est peut-être par la nuance qu’on parviendra à effectuer les changements les plus radicaux, à moins que le véritable changement soit de conserver le monde tel qu’il est (mais comment est-il? Peut-on encore le reconnaître?), dans cette manière d’être évoquée plus haut par Baldwin, c’est-à-dire «dans l’austère sens universel de quête, d’audace, de progrès», ce qu’il appelle l’amour. C’est encore ce que semble exprimer James Baldwin quand il dit à Margaret Mead qu’«on peut me considérer comme conservateur si on tient compte de ce que je juge précieux (11)". 
Et c’est ici qu’on découvre que ce qu’on dénonce de nos jours sous le terme d’appropriation culturelle est peut-être davantage un problème de déculturation, ou d’acculturation, qui frappe l’ensemble de la société. Déculturation qui a pour conséquence le déclin de la parole publique (Lasch) et de la passion pour le monde (Arendt). On oublie que c’est au nom du progrès et de la civilisation qu’on a aboli l’esclavage au XVIIIe siècle, mais pour donner une explication scientifique à l’infériorité des Noirs, voire leur désir de soumission aux Blancs, eux-mêmes contraints de les dominer. Les grand empires occidentaux étaient ainsi justifiés de coloniser l’Afrique et de substituer le travail forcé à l’esclavage. Au nom de la civilisation et du progrès, on faisait disparaître l’humanité de tout un continent. Et comme le disait Baldwin, l’homme blanc faisait en même temps disparaître sa propre humanité, mais sans s’en rendre compte.
Les films et les spectacles qui prétendent réconcilier les peuples et les cultures, réparer les torts, réussissent seulement, plus souvent qu’autrement, à neutraliser l’histoire et à chanter les louanges du progrès. L’idéologie progressiste n’est en tout cas jamais remise en question. Le discours de ces productions édifie la société actuelle et laisse généralement entendre ce qu’une minorité veut entendre, alors que la majorité hausse les épaules d’impuissance ou d’indifférence: nos sociétés sont bien meilleures qu’avant, nous avons gagné en civilité, continuons, allons de l’avant, le meilleur est devant, courons-y vite! Et la déculturation de suivre son cours, de progresser.
Il n’est pas facile de mettre le doigt sur ce que dissimule exactement ce discours édifiant. Ces «grandes œuvres» commémoratives font appel à des mises en scène à la fine pointe de la technologie. Or celles-ci tendent à faire disparaître le réel en donnant l’illusion de le faire apparaître. Je parle ici de technologie, pas des arts et des techniques littéraires de la scène ou du cinéma. C’est d’ailleurs l’argument qu’a d’abord fait valoir Robert Lepage aux représentants autochtones qui demandaient de jouer dans la production du Théâtre du Soleil, Kanata, pour des raisons d’équité et de représentativité. Nous avons intégré à la mise en scène des images enregistrées de témoins autochtones, a-t-il dit. Cette présence virtuelle compenserait leur absence réelle. Il me vient en mémoire que c’est aussi le but du fameux spectacle de réalité virtuelle qu’il signait avec Alberto Manguel, La bibliothèque la nuit. On peut affirmer que Robert Lepage est un maître reconnu mondialement de ce genre de mise en scène. Sa compagnie ne s’appelle pas Ex machina pour rien.
Je suis frappé par le fait que ceux qui demandent de faire partie des distributions dramatiques ne s’interrogent pas sur les œuvres elles-mêmes, sur leur composition. Certains vont jusqu’à réclamer leur disparition pure et simple de la programmation. C’est à croire que la censure et la virtualité sont les deux faces d’un même désir de disparaître, que porte en creux la religion du progrès.
James Baldwin, qui était particulièrement sensible au racisme et à la déshumanisation qu’il induit, à la déculturation du monde aussi, est décédé il y a un peu plus de 30 ans, le 1er décembre 1987, dans sa maison de Saint-Paul-de-Vence, en France, à l’âge de 63 ans.



1-James Baldwin, Chassés de la lumière 1967-1971 (paru sous le titre No name in the street en 1972), Ypfilon éditeur, 2015, p. 129.
2- "Ici dragons" dans Retour dans l'oeil du cyclone, Christian Bourgois, 2015, p. 203.
3- La prochaine fois, le feu, op.cit. p. 37.
4-Ibidem, p. 90.
5- Ibidem, p. 81.
6- « Ici dragons », op. cit.  p. 206.
7- James Baldwin et Margaret Mead, Le racisme en question, Calmann-Lévy, 1972, p. 102-103
8- Retour dans l’œil du cyclone, p. 164.
9- Les routes de l’esclavage, documentaire en quatre épisodes de Daniel Cattier, Juan Gélas et Fanny Glissant, France, 2018, 208 minutes.
10- La prochaine fois, le feu, p. 138-139.
11- Le racisme en question, op.cit. p. 210


* Ce texte est paru en 2018 dans Mauvaise foi. Essai sur la religion du progrès, Éditions Somme toute. 

jeudi 20 février 2020

Le négatif ou l'envers, rêveries du Grand Corbeau



Montréal


On croit vivre ailleurs que dans ses rêves, mais faisons l'hypothèse inverse: nous ne les avons jamais quittés, nos rêves nous veillent.
Anne Dufourmantelle, Intelligence du rêve. Fantasmes, apparitions, inspiration, 2012






...la racine du mal, c'est la rêverie. Elle est l'unique consolation, l'unique richesse du malheureux, l'unique secours pour porter l'affreuse pesanteur du temps; un secours bien innocent, d'ailleurs indispensable.
Simone Weil, Lettre à Joë Bousquet, 1942



Montréal

Si la révolution est notre mystique et le restera quelle que soit la cruauté des autels sur lesquels on a sacrifié ses idéaux, c’est parce qu’elle fait signe vers un envers, une négativité porteuse d’une liberté inaliénable qu’à un moment de l’histoire on affronte, on défend, au péril de sa vie. Risquer sa vie pour la révolution est constituant de notre humanité, il ne peut pas, me semble-t-il, en être autrement, même lorsque les cieux pacifiques de la démocratie semblent porter leurs augures très loin vers le futur.
Anne Dufourmantelle, Éloge du risque





Nous daubons tous allègrement sur les particularismes de classe, mais bien peu nombreux sont ceux qui souhaitent vraiment les abolir. On en arrive ainsi à constater ce fait important que toute opinion révolutionnaire tire une part de sa force de la secrète conviction que rien ne saurait être changé. 
George Orwell, Le Quai de Wigan, 1937


Florence



Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d’une lumière d’éternité.
Seule la religion peut être source de cette poésie.

Ce n’est pas la religion, c’est la révolution qui est l’opium du peuple.

La privation de cette poésie explique toutes les formes de démoralisation. 
S.Weil, "Mystique du travail", La pesanteur et la grâce



Montréal





Palerme


La religion en tant que source de consolation est un obstacle à la véritable foi : en ce sens l’athéisme est une purification. Je dois être athée avec la partie de moi-même qui n’est pas faite pour Dieu. Parmi les hommes chez qui la partie surnaturelle d’eux-mêmes n’est pas éveillée, les athées ont raison et les croyants ont tort. 
S.Weil, L'athéisme purificateur", La pesanteur et la grâce.


Venise



Une société à prétention divine comme l'Église est peut-être plus dangereuse par l'ersatz de bien qu'elle contient que par le mal qui la souille.
   Une étiquette divine sur du social: mélange enivrant qui enferme toute licence" Diable déguisé.
S. Weil, "Les gros animal"



Montréal

Aimer purement, c'est consentir à la distance, c'est adorer la distance entre soi et ce qu'on aime.
Simone Weil,  La Pesanteur et la Grâce.




La politique prend naissance dans l'espace-qui-est-entre-les-hommes, donc dans quelque-chose de fondamentalement extérieur-à-l'homme. Il n'existe donc pas de substance véritablement politique. la politique prend naissance dans l'espace intermédiaire et elle se constitue comme relation.
Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique?


Montréal



Toute séparation est un lien.
S.W. "Metaxu", La pesanteur et la grâce






Il nous incombe encore de faire le négatif; le positif nous est déjà donné.
 F. Kafka, Méditations



Le moi, ce n'est que l'ombre projetée par le péché et l'erreur qui arrêtent la lumière de Dieu, et que je prends pour un être.
Simone Weil, "Effacement", La pesanteur et la grâce.





Mets-toi à l'épreuve de l'humanité. Elle fait douter le douteur et croire le croyant.
F. Kafka 



Montevideo


Nous participons à la création du monde en nous décréant nous-mêmes.
S. Weil, "Décréation", La pesanteur et la grâce.
 


Canton de l'Est


L'âme qui passe la tête hors du ciel mange l'être. Celle qui est à l'intérieur mange l'opinion.
S. Weil, "Illusions", La pesanteur et la grâce.


 

Thermes de Caracalla, Rome, 2016


Faire l'inventaire ou la critique de notre civilisation, qu'est-ce à dire? Chercher à tirer au clair d'une manière précise le piège qui a fait de l'homme l'esclave de ses propres créations. Par où s'est infiltrée l'inconscience dans la pensée et l'action méthodiques? L'évasion dans la vie sauvage est une solution paresseuse. Il faut retrouver le pacte originel entre l'esprit et le monde dans la civilisation même où nous vivons. C'est une tâche au reste impossible à accomplir à cause de la brièveté de la vie et de l'impossibilité de la collaboration et de la succession. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'entreprendre.
S. Weil, "Algèbre". 



Montevideo



"On remua la paille à l’aide de bâtons et l’on y trouva l’artiste de la faim.

— Tu es encore là sans manger? demanda l’inspecteur. Quand arrêteras-tu donc enfin?

 — Pardonnez-moi tous, murmura l’artiste de la faim; seul l’inspecteur, qui tenait une oreille contre la grille, comprit ce qu’il disait.

—Bien sûr, dit l’inspecteur en portant le doigt à son front pour signaler au personnel l’état dans lequel se trouvait l’artiste de la faim, nous te pardonnons.

— J’ai toujours voulu que vous admiriez ma faim, dit l’artiste de la faim.

   Mais nous l’admirons, dit l’inspecteur, prévenant.

  Vous ne devriez pourtant pas l’admirer, dit l’artiste de la faim.

— Eh bien, soit! Alors nous ne l’admirons pas, dit l’inspecteur, et pourquoi donc ne devons-nous pas l’admirer?

 — Parce que je dois m’affamer, je ne peux pas faire autrement, dit l’artiste de la faim.

— Voyez-vous ça! dit l’inspecteur, et pourquoi ne peux-tu pas faire autrement?

— Parce que je..., dit l’artiste de la faim qui levait un peu sa petite tête et parlait en avançant ses lèvres comme pour donner un baiser, tout près de l’oreille de l’inspecteur pour qu’aucune de ses paroles ne se perde, ...parce que je n’ai pas pu trouver d’aliments qui me plaisent. Si je les avais trouvés, crois-moi, je ne me serais pas fait remarquer, et je me serais rempli le ventre comme toi et les autres. Ce furent ses derniers mots, mais dans ses yeux éteints on pouvait lire la ferme conviction, même si elle était désormais sans fierté, qu’il continuait à s’affamer.

«Maintenant, mettez-moi un peu d’ordre», dit l’inspecteur, et l’on enterra l’artiste de la faim avec la paille. Dans la cage on mit une jeune panthère. Ce fut, même pour les esprits les plus apathiques, une amélioration sensible que de voir cette bête sauvage s’agiter dans cette cage si longtemps inhabitée. Elle ne manqua de rien. Les gardiens, sans avoir besoin de beaucoup réfléchir, lui apportaient la nourriture qui lui plaisait; même la liberté ne semblait pas lui manquer; ce corps noble, doué de tout ce qui était nécessaire au point de se déchirer, semblait porter en lui la liberté; elle paraissait placée quelque part dans sa mâchoire; et la joie de vivre sortait de sa gueule avec une telle passion qu’il n’était pas facile pour les spectateurs de lui tenir tête. Mais ils se dominaient, se pressaient autour de la cage et ne voulaient plus la quitter."


F. Kafka:  "Un artiste de la faim", http://www.alain.les-hurtig.org/pdf/artiste.pdf



Cliquez sur l'image pour lire la nouvelle de Kafka, "Un artiste de la faim"

L'homme d'aujourd'hui ressemble assez à une guêpe coupée en deux qui continuerait à se gaver de confiture en faisant comme si la perte de son abdomen n'avait aucune espèce d'importance.
George Orwell cité par Bruce Bégout, De la décence ordinaire.



 

Montréal

La première idolâtrie était assurément peur des choses, mais aussi, en relation avec cette peur, peur de la nécessité des choses, et en relation avec celle-ci, peur de la responsabilité pour les choses. Cette responsabilité apparaissait si énorme qu’on n’osait même pas en charger un être unique placé en dehors de l’humanité, car le poids de la responsabilité humaine, même la médiation d’un seul être n’aurait pu suffisamment l’alléger, les relations avec un seul être auraient encore été par trop entachées de responsabilité; c’est pourquoi l’on chargea chaque chose d’être responsable pour elle-même, bien plus, on chargea encore chaque chose d’une responsabilité relative pour l’homme.
F. Kafka



Montréal


Si le mot "chaise" n'existait pas, nous ne saurions pas où nous asseoir.
Yann Moix, Orléans



 
Port de Marseille


Comme la pensée collective ne peut exister comme pensée, elle passe dans les choses (signes, machines...). D'où ce paradoxe : c'est la chose qui pense et l'homme qui est réduit à l'état de chose.
S. Weil, "Algèbre"


San Leone, Sicile






Faute d'idoles, il faut souvent, tous les jours ou presque, peiner à vide.
S. Weil, "Idolâtrie".


Dans le port de Montevideo, Uruguay

Spiritualité du travail. Le travail fait éprouver d’une manière harassante le phénomène de la finalité renvoyée comme une balle; travailler pour manger, manger pour travailler… Si l’on regarde l’un des deux comme une fin, ou l’un et l’autre pris séparément, on est perdu. Le cycle contient la vérité. 

« Un écureuil tournant dans sa cage et la rotation de la sphère céleste. Extrême misère et extrême grandeur.

            C’est quand l’homme se voit comme un écureuil tournant dans une cage circulaire, que, s’il ne ment pas, il est proche du salut. 
S.Weil, "Mystique du travail", La pesanteur et la grâce.




Montevideo


Travail manuel. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu un mystique ouvrier ou paysan qui ait écrit sur l’usage du dégoût du travail? Ce dégoût qui est si souvent là, toujours menaçant, l’âme le fuit et cherche à se le dissimuler par réaction végétative. Il y a danger de mort à se l’avouer. Telle est la source du mensonge propre aux milieux populaires. (Il y a un mensonge propre à chaque niveau.)

            Ce dégoût est le fardeau du temps. Se l’avouer sans y céder fait monter.
            Le dégoût sous toutes ses formes est une des misères les plus précieuses qui soient données à l’homme comme échelle pour monter. 
S. Weil, "Mystique du travail"


Rome


 
Biennal d'art contemporain de Venise 2015





Théâtre de Taormina, Sicile

Tout le monde tient le beau pour le beau,
c’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien,
c’est en cela que réside son mal.

Lao Tseu, cité par Roland Jaccard ("Le billet du Vaurien", Causeur).

 




Humahuaca, Argentine, janvier 2013

Nous n'avons pas à acquérir l'humilité. L'humilité est en nous. Seulement nous nous humilions devant de faux dieux.
S. Weil, "Idolâtrie", La pesanteur et la grâce.

 
Montevideo, Uruguay, 2013


 

Jujuy, Argentine, janvier 2013

Il y a des cas où une chose est nécessaire du seul fait qu'elle est possible.
S.Weil, "La nécessité et l'obéissance", La pesanteur et la grâce.

Des vieux jouent à la scopa, Palerme, Sicile, 2017

Agir, non pour un objet, mais par une nécessité. Je ne peux pas faire autrement. ce n'est pas une action, mais une sorte de passivité. Action non agissante.
S. Weil, "La nécessité et l'obéissance", La pesanteur et la grâce









Montevideo



La tension qui existe entre le monde subjectif du moi et le monde objectif, entre l’homme et le temps, voilà le problème principal de tout art. Voilà avec quoi doit se battre tout peintre tout écrivain…Rimbaud va même au-delà des mots. Il métamorphose les voyelles en couleurs. Par ce sortilège de sons et de couleurs, il se rapproche des pratiques magiques qu’on trouve dans les religions des peuples primitifs. Ceux-ci, pénétrés par l’angoisse et par l’ombre, s’agenouillent devant diverses idoles de bois et de pierre. Mais le progrès a entraîné une baisse de la matière première. Nous nous idolâtrons nous-mêmes. Mais du coup, nous n’en sommes que plus profondément et plus durement  étreints et pétris par les ombres et l’angoisse.  
 Gustav Janouch rapportant les paroles de F. Kafka dans Conversations avec Kafka.


Picasso, Chicago
L'individu moderne, c'est ce qui reste de la personne lorsque les idéologies romantiques sont passées par là, c'est une idolâtrie de l'autosuffisance forcément trompeuse, un volontarisme antimimétique qui provoque aussitôt un redoublement de mimétisme, une soumission plus complète à un collectif toujours plus réduit aux entraînements futiles de la mode, toujours exposé, du même coup, aux tentations totalitaires.
René Girard, Quand ces choses commenceront




Un être sans monde est plus réceptif au pacte faustien qu'une vie incarnée.
Bruce Bégout, De la décence ordinaire 

 
 
Millenium Park, Chicago, 2010



 Le gros animal est le seul objet d'idolâtrie, le seul ersatz de Dieu, la seule imitation d'un objet qui est infiniment éloigné de moi et qui est moi.

 ...

La société est la caverne, la sortie est la solitude.
S.W. "Le gros animal"

 
Millenium Park, Chicago, 2010


Contempler le social est une voie aussi bonne que se retirer du monde. C'est pourquoi je n'ai pas eu tort de côtoyer si longtemps la politique.
S. W., "Les gros animal"



Trump Tower, Chicago, 2010

L'idolâtrie est donc une nécessité vitale dans la caverne. Même chez les meilleurs, il est inévitable qu'elle limite étroitement l'intelligence et la bonté.
S. Weil, "Idolâtrie"





Arles


De quel poids pèsent nos rêves devant la technicisation du monde, son hostilité grandissante aux vivants, à leurs conquêtes, leurs appétits de prédateurs?
A. Dufourmantelle, 2012




Montréal


La plus sûre façon de trahir, la plus avantageuse aussi, est de rester « fidèles par idées »; mieux vaudrait encore rester fidèles par le rêve, puisque les hommes sont davantage couleur de leurs songes que de leurs pensées : les uns sont habillés de prés et de bois, les autres de la lumière citadine des enseignes, d’autres du soleil prudent qui tombe sur les bâtisses; mais la plus vraie livrée de l’homme est celle des rapports qui l’unissent à la souffrance. Jamais une douleur n’a menti.

Armand Robin, L’homme sans nouvelle





Paris


Dans la mesure où il s'accepte, l'homme s'enfonce dans la profondeur de sa nature qui est négation. Ainsi, ne sois pas toi si tu ne veux pas être perdu.
    Tu sais que ce n'est pas la recherche du bonheur qui est le grand mobile des actions des hommes, mais le souhait inhérent à chacun de tes actes "Ne pas être celui que je suis."
Basile Sureau, en exergue à La connaissance du soir, de Joë Bousquet, 1947


 
Un Vénitien, 2015


Qu'importe ce qu'il y a en moi d'énergie, de dons, etc? J'en ai toujours assez pour disparaître.
Simone Weil, "Effacement", La pesanteur et la grâce.




Arles


Laisse les couillons profiter du monde, et puis, après, tu pourras, comme moi, envier leur bonheur, douloureusement, toute ta vie.
 Pier Paolo Pasolini, Lettres luthériennes



Souffrance: supériorité de l'homme sur Dieu. Il a fallu l'Incarnation pour que cette supériorité ne fût pas scandaleuse.
Simone Weil, "Le malheur", La pesanteur et la grâce.

 Faute de croire soi-même, on peut croire en ceux qui croient, écrivait Jean Baudrillard je ne sais plus où.


Ce qui pleure, c'est ce qui change, même si c'est pour le meilleur.
Pier Paolo Pasolini, Les Cendres de Gramsci, 1956



On croit que la pensée n'engage pas, mais elle engage seule, et la licence de penser enferme toute licence. ne pas penser à, faculté suprême. Pureté, vertu négative.
S. Weil, "Le Mal", La pesanteur et la grâce.

Bologne, 2015

Souiller, c'est modifier, c'est toucher. Le beau est ce qu'on ne peut vouloir changer. Prendre puissance sur, c'est souiller. Posséder, c'est souiller.
Aimer purement, c'est consentir à la distance, c'est adorer la distance entre soi et ce qu'on aime.
 Simone Weil, "Amour",  La presanteur et la grâce.



Bologne, 2015

S'il est vrai que la politique n'est hélas rien d'autre qu'un mal nécessaire à la conservation de l'humanité, celle-ci a alors effectivement commencé à disparaître du monde, c'est à dire que son sens a viré en absence de sens.
Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique?



Rome



 D'où nous viendra la renaissance, à nous qui avons souillé et vidé tout le globe terrestre?
Du passé seul, si nous l'aimons.
 S.W. L'harmonie sociale



Être humain consiste essentiellement à ne pas rechercher la perfection, à être parfois prêt à commettre des péchés par loyauté, à ne pas pousser l'ascétisme jusqu'au point  où il rendrait les relations amicales impossibles, et à accepter finalement d'être vaincu et brisé par la vie, ce qui est le prix inévitable de l'amour porté à d'autres individus.
George Orwell cité par Bruce Bégout, De la décence ordinaire


https://www.gillesmcmillan.com/2020/02/la-vertu-du-heron.html
Cliquez sur l'image pour accéder à la vertu du héron

 Grand Corbeau rêvé en vrai au coin des rues Laurier et Mentana, à Montréal, le 8 février, 2020. Présage de quel envers





Tu ne pourrais être née à une meilleure époque que celle-ci où on a tout perdu.
                        S.W. « L’harmonie sociale »







On est des désespérés, mais on ne se découragera jamais.
R. Ducharme, L'hiver de force